La citoyenneté et le sentiment d’appartenance à la nation ne sont pas des concepts abstraits. Les Français leur confèrent une dimension éminemment politique. Pour eux, ces deux notions sont indissociables. C’est la raison pour laquelle ils s’opposent à l’instauration de la citoyenneté-résidence par l’octroi du droit de vote aux étrangers. Car la citoyenneté française renvoie d’abord au principe de la légitimité politique. Chaque citoyen est détenteur d’une part de la souveraineté qu’il exerce avec ses concitoyens, membres d’une même communauté de destin, source du pouvoir politique. Ainsi, ils concourent ensemble à l’élaboration de la Loi, par l’intermédiaire de leurs élus censés œuvrer dans le respect des droits fondamentaux du peuple. En France, c’est la nationalité qui confère ce statut d’architecte du projet politique collectif.[access capability= »lire_inedits »]
Contrairement aux apparences, ce n’est pas la machine étatique qui décide qui sera Français ou ne le sera pas, mais la communauté nationale. Celle-ci choisit qui elle adopte, avec comme condition non négociable l’appropriation de l’identité culturelle française : la nation politique continue de tirer sa légitimité de la nation culturelle. Ce n’est plus le cas pour nos autorités publiques. C’est là que le divorce est consommé. Aux yeux du peuple, l’État viole ses droits fondamentaux, car rien n’est plus fondamental pour un peuple que son identité. Et cela vaut pour tous les peuples, comme en témoigne cet extrait du Code de la nationalité marocain : « La possession d’état de national marocain résulte d’un ensemble de faits publics, notoires et non équivoques, établissant que l’intéressé et ses parents se sont comportés comme des Marocains et ont été regardés comme tels tant par les autorités publiques que par les particuliers. »
Le contenu de la citoyenneté, le sentiment d’appartenance à la nation, se construisent et se consolident en tout premier lieu au sein de la famille. Le deuxième lieu d’acquisition et d’apprentissage de la citoyenneté, c’est l’École, mais cette dernière ne peut assurer cette mission qu’à la condition que les parents l’y autorisent ou, à tout le moins, ne rendent pas cette mission impossible. Or le fait majeur qui domine l’intégration des enfants de l’immigration extra-européenne, c’est justement que les parents, pour des raisons de distance culturelle et de principes fondamentaux non partagés, ne marchent plus systématiquement dans la même direction que l’École. La manifestation la plus tangible en est l’absence de construction d’un socle de reconnaissance envers la société d’accueil.
En l’absence de ce socle, l’intégration devient quasi impossible, en particulier du fait de la terrible question d’allégeance aux ancêtres, qui est à l’origine des tourments de bien des enfants de l’immigration et qui les aspire dans le tourbillon de la vengeance envers la société d’accueil. Pour éviter de se fourvoyer, il suffisait de méditer les pensées d’Ernest Renan qui évoquait le fameux « culte des ancêtres, de tous le plus légitime », car il était à ses yeux le premier des pré-requis pour pouvoir « faire nation ». Les Français savent-ils qu’en dépit d’une grande proximité culturelle, seul un Italien sur trois du flux transalpin de la période 1870-1940 a réussi à s’intégrer (travaux de l’historien Pierre Milza) ? Laisser penser que les immigrés extra-européens pourraient faire mieux est irresponsable, aussi bien vis-à-vis du peuple français que des immigrés.
L’une des multiples conséquences de l’échec de l’intégration, que notre classe politique ignore avec superbe, c’est le retour à la norme du mariage endogame, source de nouveaux flux migratoires. Les travaux de la démographe Michèle Tribalat mettent clairement en évidence ce phénomène, dont un effet collatéral est un flux conséquent de naturalisations automatiques. Et pour Emmanuel Todd, « le taux d’exogamie, proportion de mariages réalisés par les immigrés, leurs enfants ou leurs petits- enfants avec des membres de la société d’accueil, est l’indicateur anthropologique ultime d’assimilation ou de ségrégation, qui peut opposer sa vérité à celle des indicateurs politiques et idéologiques ».
Jusqu’ici, tous les partis politiques, sans exception aucune, font de ce débat un jeu macabre. Certains trouvent un intérêt électoral concret à ce que la machine à fabriquer les papiers d’identité français tourne à plein régime. D’autres estiment avoir rempli leurs obligations vis-à-vis du peuple en évoquant une réforme anémique du code de la nationalité. D’autres enfin poussent des cris d’orfraie dès que ce sujet est effleuré, arguant que cela relève de leur pré carré. Plutôt laisser la France périr que de la voir secourue par d’autres : étrange conception du patriotisme !
Chaque papier d’identité délivré constitue de facto un titre de propriété sur le territoire. Si la nationalité est un sujet si important, c’est que de lui dépend la cohésion nationale. Tôt ou tard, les différentes populations qui évoluent désormais en France entreront dans un conflit de légitimité territoriale. C’est ce que le général de Gaulle avait saisi, prenant dès lors la décision de quitter l’Algérie, dont le peuple n’est jamais devenu français. L’Algérie n’est pas seule dans son cas : il suffit de repenser à l’Indochine. Aucun sursaut ne pourra advenir sans la reconnaissance de l’extrême gravité de la situation dans laquelle la France est à nouveau plongée. Les Français ayant oublié leur passé, selon le mot de Winston Churchill, ils se condamnent à le revivre.[/access]
*Photo: VALINCO/SIPA.00588632_000005.
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