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Un si noble divertissement…

La séance ciné de Monsieur Nostalgie


Un si noble divertissement…
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En janvier 1982 sortait sur les écrans français « Tout feu, tout flamme », une comédie bondissante de Jean-Paul Rappeneau avec Yves Montand et Isabelle Adjani, en père et fille.


C’est quoi un bon film ? Une œuvre d’art, un témoignage coup de poing, de l’action, des rires, du sexe, un rêve éveillé, la découverte d’un monde parallèle, des cris, des pleurs, une dénonciation, une lumière, une atmosphère, des dialogues, des silences, des gueules, des ombres, etc… A cette question, il y a autant de réponses que de sensibilité et d’aveuglément différents. Selon les goûts de chacun, le cinéma nourrit et fausse la représentation du réel.

La comédie de divertissement soignée, élégante, pleine d’entrain

Contrairement à certains de mes confrères qui plébiscitent la veine noire et défaitiste, la comédie sociale culpabilisante et maniérée, ou pis, le huis clos accusateur, ridiculement obséquieux, je préfère le rigodon, un tempo vif et entraînant, la légèreté des sentiments qui vient fouetter l’apathie d’un dimanche après-midi, le cadre léché, la ligne claire, des silhouettes bien dessinées, un certain confort bourgeois de visionnage en somme, le tangage m’indispose, le procès me rebute. Je déteste être la marionnette d’un réalisateur sournois qui va déverser sur moi, ses haines et ses rancunes, ses problèmes et ses lacunes. Qu’il conserve ses tourments intérieurs pour son cercle familial ou les professionnels de santé. Je ne suis pas son cobaye.

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C’est pourquoi le divertissement m’a toujours séduit, d’où mon admiration pour l’œuvre de Philippe de Broca. Bien peu de réalisateurs ont le courage, l’honnêteté, l’intelligence, le tact, le savoir-faire pour s’engager dans cette voie-là. Revendiquer le divertissement, c’est s’exclure des cénacles autorisés et se parjurer dans le comique. Car, pour les cinéphiles, la frontière est ténue entre le divertissement et la daube, entre le film sans prétention artistique et le produit commercial insane, entre le rire et le proxénétisme. Ces gens-là ne savent pas voir, ni entendre, tellement ils sont bunkerisés dans leurs certitudes. Je regrette le temps où la comédie de divertissement soignée, élégante, pleine de petits miracles et d’entrain, de ce charme indéfinissable que l’on pouvait tout de même résumer en un seul mot : le respect, réunissait deux millions de spectateurs. Respect du public. On ne voulait pas le décevoir et étonnamment, on ne le draguait pas à tout prix. On lui offrait un spectacle complet de qualité, c’est-à-dire une histoire et ce mot devenu aujourd’hui honteux, une intrigue, des caractères, des situations, des variations, une fluidité narrative, une bonne humeur teintée de mélancolie, une capsule où les emmerdes du quotidien et la vacuité des existences s’évanouissaient. Un refuge. Prenons « Tout feu, tout flamme » de Jean-Paul Rappeneau, sorti en janvier 1982, comme exemple de ce noble divertissement. Il a tout pour contrarier les rances de la pellicule, une grosse production, deux vedettes au sommet de leur art déclamatoire, la présence d’un mannequin international, une partition signée Michel Berger, des décors conçus par Hilton McConnico, un tournage « riche », un casino en ruine, des méchants en Cadillac, un acteur suisse fascinant de roublardise et ce plaisir non feint de s’amuser, de s’évader, de se laisser emporter par les relations tumultueuses d’un père et d’une fille. Je défie quiconque de résister à cet élan-là. Il est salutaire.

Quand la beauté n’était pas un crime

« Tout feu, tout flamme » balaye les aigreurs de janvier, par sa fantaisie et sa tendre décrépitude, il déconsidère les gesticulations de l’actualité. Après avoir vu Montand et Adjani, les intrigants aperçus sur les perrons ou les plateaux de télévision vous paraissent minuscules et dérisoires. Sans éclat. Sans fond. Sans aspérité. Des mécaniques inutiles. Parce que je ne connais rien de plus émouvant qu’Isabelle dans ce rôle de polytechnicienne au visage de madone, la beauté n’était pas un crime au début des années 1980, c’était encore un don du ciel. Dans sa rigueur érotique de conseillère ministérielle, Isabelle court, s’époumone, tombe de vélo, conduit une Alfa Romeo dans un trou d’eau, prend un hélico, calcule à la vitesse de l’éclair, fait office de mère pour ses sœurs et demeure cette éternelle ambitieuse triste. Jamais bicorne n’aura été mieux porté que par Adjani. Moi, d’habitude si critique avec le jeu exagérément personnel de Montand, je le trouve ici presque dans la retenue, sur la réserve, dans un bel équilibre, loin de sa caricature agaçante. Jean-Luc Bideau affiche une veulerie jubilatoire, en souffre-douleur, il est insatiable. Souchon qui ne s’aime pas trop en acteur, avait tort. Il a un air moins ahuri et son esprit moqueur se déploie avec aisance. Lauren Hutton, tout juste auréolée du succès d’« American Gigolo » est la caution californienne du moment alors qu’elle est née en Caroline du Sud. Sur le bord du Lac Léman, ses dents du bonheur sont aussi sensuelles qu’en couverture de Vogue. La force de ce divertissement-là est sa permanence mémorielle. Il est loin d’être éphémère. Il instille en nous une nostalgie non revancharde et non victimaire. Peut-être, une attirance lucide pour une forme de bonheur perdu. 

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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