« Tout est lié » …
« Tout est lié »… C’est cette phrase lourde de sens qui constituait en 2015 le cœur de l’encyclique Laudato Si[tooltips content= »http://www.vatican.va/content/dam/francesco/pdf/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si_fr.pdf »](1)[/tooltips], dans laquelle le pape François tentait d’expliquer à des contemporains sélectivement sourds et aveugles l’importance d’une écologie intégrale, selon laquelle l’intérêt porté à la nature – l’éthique écologique – se doit, pour avoir un sens et une cohérence, de s’accompagner d’un respect équivalent de l’humain – l’éthique anthropologique.
Par une analogie funeste, il se trouve que l’on pourrait totalement appliquer ce schéma conceptuel à l’explication de l’abominable déliquescence qui paralyse actuellement notre pays.
Notre déclin est-il inexorable?
La plupart des analystes actuels se plaignent en effet – et à juste titre – de la conduite déplorable des politiques sanitaires et économiques de notre pays. Les faits sont là : la France continue son inexorable dégringolade amorcée il y a quarante ans dans le classement mondial du PIB par habitant, passant dans cet intervalle du 5e au 29e rang mondial. On pourrait bien objecter que cette mesure centrée sur la seule richesse n’est pas forcément le meilleur indicateur pour évaluer le niveau de développement d’une nation, mais l’évolution du score de notre pays n’en reste pas moins éloquente. Par ailleurs le classement du « bonheur » établi par l’ONU[tooltips content= »World Happiness Report 2020″](2)[/tooltips] ne nous est pas plus favorable, puisqu’il ne nous plaçait lui aussi en 2020 qu’au 23e rang mondial, très loin derrière les pays scandinaves qui trustent les premières places depuis l’apparition de ce type de score. Concernant la gestion de la pandémie en cours, les résultats ne sont guère meilleurs. Avec près de 90 000 morts à ce jour, la France est en effet l’un des pays du monde les plus fortement touchés par la Covid-19, et les lenteurs actuelles du processus de vaccination ne laissent pas présager d’une rapide amélioration. Même en respectant l’objectif affiché d’un million d’injections mensuelles, si nous restons par ailleurs à un taux de contamination spontané comparable, il nous faudra plus de deux ans et demi pour parvenir à une immunité collective susceptible d’amener l’extinction de l’épidémie. Soit largement assez de temps pour finir de ruiner notre économie et/ou permettre l’émergence de nouveaux variants du SARS-Cov 2 plus agressifs et/ou résistants aux vaccins…
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Mais que se cache-t-il sous cette montagne d’échecs « externes » (politiques, économiques, sanitaires), si ce n’est justement une défaillance « interne » de nos dirigeants ? Faut-il se plaindre que la mise en œuvre de la vaccination soit déplorable cet hiver quand on pense que les responsables de sa gestion sont les mêmes (Olivier Véran et Jérôme Salomon) que ceux qui avaient échoué si lamentablement à anticiper et prendre en charge la « première vague » au printemps dernier ? Que l’on se souvienne de la gestion déplorable des stocks de masques, et que l’on médite le fait que seule la porte-parole – Madame N’Daye – a été remerciée après l’échec d’une politique qu’elle n’avait fait que communiquer sans l’avoir elle-même décidée… De même, faut-il s’étonner de nos échecs économiques quand on constate que la France, à quelques bémols près, n’a fait que suivre – en dépit de son naufrage patent – la même politique de relance et de redistribution sur fonds publics à base d’endettement croissant depuis plus de quarante ans, couvrant du prétexte savant d’une inspiration keynésienne ce qui n’est en fait le plus souvent que le lâche et coupable achat politicien d’une paix sociale à court terme ?
La confiance nous fait défaut
Pourtant, notre pays a – ou du moins avait – des capacités extraordinaires: des terres agricoles fertiles, un gigantesque espace océanique, une industrie technologiquement avancée et une population jusqu’à récemment parmi les plus éduquées de la planète. Que nous a-t-il manqué, en fait, pour que nous réussissions ? La confiance, principalement. Cette disposition essentielle des acteurs économiques et du peuple lui-même qui les rend tout à fait capables de consentir à des efforts et des sacrifices pour peu qu’ils soient persuadés du bien-fondé des politiques mises en œuvre, et convaincus de la conformité des résultats attendus avec l’intérêt général de la nation. Cette confiance qui avait permis par exemple le gigantesque exploit de la reconstruction d’après-guerre, et qui a hélas été ensuite constamment érodée depuis les années 1970-1980, aboutissant à faire aujourd’hui des Français un des peuples les plus acquis aux théories complotistes et aux thèses politiques extrémistes. Pourquoi ? Parce que le courage chez les élites a manqué, alors qu’il est le déterminant fondamental de la confiance populaire. Le courage d’assumer des erreurs ou des défaites pour corriger une politique ou quitter le pouvoir quand cela s’impose, même en dehors de toute échéance électorale. Le courage de dire au peuple la vérité, même quand celle-ci n’est pas glorieuse et qu’elle peut faire obstacle au tranquille déroulement d’un mandat. Le courage de s’en remettre à lui quand c’est indispensable pour obtenir un réel assentiment, plutôt que de vouloir éviter à tout prix une sanction populaire au risque de laisser germer l’insupportable soupçon de l’arbitraire. C’est cette éthique intime du politique qui a failli en France, longtemps auto-excusée par l’apparente innocuité de sa propre défaillance alors qu’elle entrainait pourtant peu à peu dans sa chute la gouvernance du pays, puis la nation tout entière…
« Tout est lié », disions-nous. Il nous appartient donc peut-être, si nous souhaitons encore nous redresser un jour, de relever en premier lieu le niveau de nos exigences envers ceux qui nous gouvernent, et, s’ils ne le méritent pas, de ne plus leur accorder à chaque échéance, par paresse ou par inconséquence, le bénéfice de votes qui se retourneront ensuite contre nous.
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