Cela fait comme un grand vide, semblable à celui que laissent les enfants le jour où ils quittent la maison familiale. Notre martyre binationale Ingrid Betancourt a, elle, retrouvé le sien, de foyer. Oui, mais elle laisse des millions d’orphelin(e)s de sa cause, qui n’ont plus personne à plaindre, le soir, au creux de leur lit quand ils ont le cafard, ni d’argument pour faire manger les enfants rétifs ( « Tu sais, Ingrid, au fond de la jungle, elle aimerait bien avoir ta part de saucisse purée… »).
Cela finit par se savoir : les héros modernes sont les victimes et la France d’aujourd’hui a besoin d’exercer en permanence la compassion, sentiment noble qui vous classe parmi les paladins des droits de l’homme et renforce l’estime de soi. Jadis on célébrait d’autres genres de héros : les guerriers intrépides, les pionniers aventureux, les génies de la science en marche. On se plaisait à jadis admirer, alors qu’aujourd’hui on prend son pied à se lamenter.
Dans la catégorie victime hors-classe, Ingrid Betancourt avait toutes les caractéristiques d’un bon produit: femme, jeune, moderne (famille recomposée), écologiste, amie des puissants mais n’oubliant jamais les pauvres.
Un temps, Florence Aubenas lui fit quelque ombrage: la journaliste au sourire d’ange était parvenue à mobiliser les affects de ses confrères, qui remuèrent ciel et terre pour que l’opinion publique contraigne le gouvernement à la racheter contre monnaie sonnante et trébuchante. Mais Florence Aubenas a eu l’élégance de se faire discrète, enfouie quelque part dans les locaux du Nouvel Observateur, laissant la martyre sud-américaine s’afficher en majesté sur les frontons de quelques grandes mairies de France.
Il est naturellement hors de propos, grossier voire indigne de se demander s’il était de bonne politique étrangère de faire quelques bonnes manières au dictateur vénézuélien Hugo Chavez pour qu’il aille convaincre ses amis des FARC de rendre l’icône à ses adorateurs. Comme il est impensable, ne serait-ce que de suggérer que la méthode britannique en matière de traitement des affaires d’otages pourrait avoir quelque vertu: on ne négocie jamais, mais on n’oublie jamais non plus de châtier les criminels, dès que l’on en a la possibilité, avec ou sans jugement. Quelques citoyens britanniques y ont, hélas, laissé leur vie, mais cela a fini par se savoir, et les preneurs d’otages moyen-orientaux se sont rabattus sur les Français et les Italiens réputés bankables.
Conscient qu’une nation sans grande cause victimaire risque de se pencher sur ses propres malheurs, voire de lui en faire porter la responsabilité, Nicolas Sarkozy a bien suggéré au peuple de reporter ses affects sur le jeune Gilad Shalit, soldat franco-israélien otage du Hamas depuis plus de deux ans. Quelque chose me dit que cela ne va pas marcher.
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