Une semaine avant le coup d’envoi de la Coupe du Monde de rugby, entretien avec le journaliste Philippe David.
Causeur. En France, depuis 2020, on constate un engouement grandissant pour le rugby. Pourquoi ? Faut-il uniquement l’attribuer au fait que la Coupe du Monde se déroule chez nous ?
Phillipe David. C’est multifactoriel. D’abord, l’équipe de France a vécu dix années de vaches maigres, la décennie 2010-2020 : de sa défaite en finale de 2011 face à la Nouvelle-Zélande jusqu’à l’arrivée d’une génération géniale, à l’image d’Antoine Dupont (élu meilleur joueur du monde 2021), et de Fabien Galthié aux manettes. Cette période était vraiment la pire de nos 60 dernières années. On a fait un grand chelem[1] en 68, en 77, un autre en 81, puis en 87… Bref, on a eu un grand chelem à chaque décennie, et patatras, 12 ans sans gagner le moindre tournoi, mais un grand chelem en 2022 pour enfin regagner quelque chose. Aujourd’hui, on a une belle équipe, qui nous fait rêver, et qui joue la Coupe du monde chez elle !
Une partie du public dit ne plus se reconnaître dans l’équipe de France de football, n’y a-t-il pas une explication plus « sociologique » (peut-être, parce que le football est gangrené par le fric ou l’esprit banlieusard) ?
Je vais être un peu chauvin, j’ai des origines dans le sud-ouest, et, en France, le rugby a clairement un côté « terroir ». À part les deux clubs de Paris (le Racing 92 et le Stade français), tous les autres clubs viennent du sud de la Loire ! Dans le football, de Lille à Toulouse, de Strasbourg à Brest, les clubs de ligue 1 sont mieux répartis sur le territoire national. Mais, paradoxalement, tous les Français se sentent représentés par l’équipe de France de rugby. Surtout, c’est la mentalité propre au rugby qui fait toute la différence. Quand Neymar se fait effleurer dans la surface de réparation, et se tord de douleur, on prépare une civière et on appelle un croque-mort ! Quand un joueur de rugby lambda se prend 140 kg dans le buffet (eh oui, ça fait partie de son quotidien), il se relève au bout de quelques secondes.
Et en quoi la passion des fans de rugby est-elle différente de celle des fans de foot ?
J’ai vu des centaines de matchs de foot, et des dizaines de matchs de rugby au stade. Ce n’est pas la même mentalité. Ce que j’aime, c’est que même pour une rencontre choc, au rugby, où il y a des supporters de clubs ultra-rivaux, il n’y a pas un CRS, et les supporters peuvent boire un coup ensemble avant et après le match. Lors d’un PSG-OM, on a 1000 CRS, 300 gardes mobiles, des barrières anti-émeutes, etc. Disons les choses : pour la fête, le rugby vaut vachement mieux que le foot.
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Quel est votre pronostic pour la France lors de cette Coupe du monde ?
Dans les 20 sélections, il y a quatre équipes au-dessus du lot. Deux de l’hémisphère nord, l’Irlande et la France, et deux de l’hémisphère sud, l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande. La France a la chance énorme de jouer à domicile. Pas uniquement pour une question d’ambiance. En 87, en finale de Coupe du monde, en 1987, on aurait dû obtenir un essai de pénalité en première mi-temps contre les All Blacks pour une mêlée effondrée plusieurs fois, mais on ne l’a pas eu, car on jouait chez eux ; en 95, lors de la demi-finale, on s’est fait voler parce que l’Afrique du Sud, étant à la maison, devait gagner ; en 2011, rebelote, on s’est fait voler notre finale face aux All Blacks, en Nouvelle-Zélande. Au pire, pour nous, aujourd’hui l’arbitrage sera équilibré. Le rugby est un sport d’Anglo-Saxon fait par et pour les Anglo-Saxons, c’est son défaut. Alors, imaginer un non Anglo-Saxons gagner une finale – la France en somme -, c’est comme un cheveu sur la soupe… Notre réel point fort, en plus d’avoir un des meilleurs joueurs du monde, c’est qu’on a une vraie équipe, un formidable collectif : quand un joueur perd la balle, deux viennent la récupérer. On a des stars, mais la vraie star c’est notre équipe. Chacun joue pour l’équipe, et ça n’a pas de prix. Pas d’ego, tout pour le maillot. Nous avons tous été peinés pour la blessure de Romain Ntamack, le demi-d’ouverture de l’équipe qui ne participera pas à la compétition. Mais j’ai vu Matthieu Jalibert, son remplaçant, répondre présent, contre l’Australie le 27 août. Et en plus, derrière il y a encore du niveau… En fait, après une telle décennie de vaches maigres, je ne pensais pas qu’on aurait le droit à une génération aussi forte. La preuve, sur les dernières années, la France a gagné les quatre Coupes d’Europe, notamment avec un club qui n’en avait jamais gagné une, et qui était encore en Pro D2 en 2014, le Stade rochelais. En quart de finale, on prendra les Irlandais ou l’Afrique du Sud. Si on passe ces quarts, la finale est à nous.
Quel est le dispositif chez SudRadio pour couvrir le mondial ?
On a un dispositif énorme, avec d’excellents consultants : Alexandre Priam, François Trillo. Daniel Herrero et son bandeau mythique qu’on ne présente plus, Éric Bonneval, Yoann Huget, Julien Tomas, et l’ancien ouvreur All Black, Andrew Mehrtens… Bref, on a un dispositif d’enfer et on va se régaler… Rendez-vous le 28 octobre pour la victoire !
Vous l’avez dit : le rugby a longtemps été un sport associé au Sud-Ouest. Est-ce moins le cas aujourd’hui ? Les fédérations nationale et mondiale sont-elles parvenues à intéresser les Français à ce sport ?
Oui. Ce qu’il faut retenir, c’est que le rugby est un sport national au même titre que le foot. Il y a aujourd’hui par exemple un très bon club de rugby qui s’appelle… Vannes ! Le rugby est en train de se répandre sur le territoire. Mais les terres historiques sont tellement ancrées dans le sud-ouest, que c’est dur de faire sa place. Vannes a quand même failli monter en top 14 ! Dans les prochaines semaines, je pense que notre pays pourrait revivre le syndrome 98. On en parle peu pour l’instant, mais si cette équipe de France se met à gagner, et joue aussi bien qu’elle est capable de le faire, il y aura un engouement général.
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À l’inverse du rugby, où, à vous entendre, tous les espoirs semblent promis à la France, on peut déplorer notre maigre bilan au Mondial d’athlétisme à Budapest (seulement une médaille pour nos athlètes). À moins d’un an des Jeux olympiques… Amélie Oudéa-Castéra devrait-elle s’inquiéter ?
Il faut s’inquiéter, c’est notre plus mauvaise performance depuis les premiers championnats du monde d’athlétisme en 87 où on était carrément revenus la besace vide… Comment expliquer que la France soit aussi mauvaise dans ce sport ? La Jamaïque, moins de 3 millions d’habitants, a ramené 12 médailles et nous une seule – heureusement gagnée par notre relais 4×400 masculin le dernier soir. L’athlétisme est pourtant avec la gymnastique et la natation le plus gros pourvoyeur de médailles olympiques. À moins d’un an, il y a franchement urgence… « Ce n’est pas comme si on était les États-Unis ou la Jamaïque » minimise la ministre de façon peu convaincante.
Si on met l’affaire Mohammed Aouas de côté, le rugby semble être moins touché par les scandales que le foot. Les histoires du « baiser volé » du président de la fédération espagnole de foot ou des comptes de l’Olympique lyonnais l’illustrent encore ! Quel regard portez-vous sur l’affaire du bisou qui émeut tant nos voisins espagnols ?
Rubiales s’est comporté de manière totalement inadéquate. Il doit selon moi quitter la tête de la Fédération espagnole. Enfin : on n’embrasse pas devant des millions de téléspectateurs sur la bouche, de manière non consentie, une joueuse quand on est président de fédération ! Imaginez qu’elle ait un compagnon. Celui-ci peut pourrait penser qu’elle le trompe avec son président de fédération et passerait pour le cocu de service aux yeux de la planète entière ! Il faut que Rubiales fasse ses valises, et s’il ne les fait pas tout seul, à la FIFA et à l’UEFA de faire en sorte qu’il parte.
Philippe David anime les Vraies Voix de 17h à 19h, avec Cécile de Ménibus, sur SudRadio (Paris 99.9 FM)
[1] Un Grand Chelem de rugby à XV se produit lorsqu’une équipe gagne tous ses matchs lors d’un Tournoi des Six Nations ou d’une tournée contre des nations britannique et irlandaise.
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