Tout le monde partage leurs idées, mais ils sacrifieront leur vie pour elles. Mobilisés pour défendre la liberté menacée, ils ignorent que le spectacle qu’ils donnent, en répétant bruyamment devant caméras et micros qu’on cherche à les faire taire, est hautement cocasse. Mais on ne rigole pas avec le sarkozysme. Regroupés en rangs serrés autour de Marie NDiaye, les néo-résistants croient aux billevesées qu’ils se racontent les uns aux autres. Ils sont la France qui dit « non » à celle de la « beaufitude archéo-réac« [1. Pêché dans les Inrocks, comme l’essentiel des citations.], la France debout contre le pays de Pétain et de Sarkozy. Quand ils se promènent dans la rue − à supposer que leur mission civilisatrice leur laisse le loisir de faire ce genre de choses −, ils doivent se demander lesquels, parmi les passants, sont sûrs et lesquels les livreront à la police sarkozyste. À 53 % de salauds, n’importe qui est suspect.
[access capability= »lire_inedits »]Imaginez la préparation, dans le secret d’une arrière-cuisine sombre, du « Spécial Résistance » des Inrocks. « Vive la France qui résiste au sarkozysme« , proclame la « une », habillée aux couleurs du drapeau. Etonnant d’ailleurs. Pour le reste, au pays de Non-Non, un benêt représente un danger fasciste et une meute ivre de bonne conscience la résistance. Le benêt, c’est Eric Raoult, député séquano-dyonisien qui vient de se payer un quart d’heure de gloire de deux semaines avec seulement trois phrases en confondant prix Goncourt et concours de l’ENA. Il a donc exigé que la lauréate, Marie NDiaye, assume la dignité de sa nouvelle fonction en reniant ses propos tenus précédemment dans les Inrocks sur le caractère « monstrueux, vulgaire et fliqué » de la France sarkozyste.
« Écris et tais-toi ! » Ainsi l’hebdomadaire, qui ne va pas lâcher un si bon filon, résume-t-il l’injonction supposément adressée, non plus à la seule Marie NDiaye, mais à tout ce qui compte et pense rive gauche. Moi, j’aurais titré : « Taisez-vous, Raoult !« , mais ils ne m’ont rien demandé. Le Raincy, ça rime avec Vichy, non ? De droite à gauche, dans les médias et les dîners en ville, les cabinets ministériels et les meetings de Besancenot, de Ségolène Royal à Carla Bruni, la France entière montre du doigt le symbole de la tyrannie qui vient. Le vice-président du Front national juge qu’il est « un démocrate de pissotière » ! Même Raoult n’est plus vraiment d’accord avec Raoult[2. Qui se définit joliment comme un Maxime Gremetz de droite.]. Oui, mais on ne va pas changer l’épique qui gagne[3. Il est vrai que Fredo Mitterrand aurait pu dire un petit quelque chose, mais il est quand même rigolo que la Résistance soit à ce point obnubilée par les discours officiels. De Gaulle attendait-il de Radio-Paris qu’elle défende la liberté ?]. Depuis qu’il n’y a plus de fascisme, l’antifascisme est indémodable.
Espérant peut-être trouver « censure à son pied » (Muray, forever), la journaliste affirme que Marie NDiaye ne parle pas à tort et à travers (c’est mal imité). Quand elle dit « monstrueux« , elle veut dire « monstrueux« . L’écrivain confirme et parle d' »intimidation« . Juliette Binoche, dont on voit les larmes en la lisant, cite Duras, nous rappelle que le gouvernement de Sarkozy est celui de « l’agressivité sournoise et bien réelle » et nous exhorte à ne pas oublier « les enfants sortis de force de l’école« . Dommage qu’ils n’aient pas interrogé la Cotillard, elle aurait expliqué que, sous couvert de vacciner contre « la grippe machin nin-nin » comme dit Bennasar, on pratique des tests ADN en masse. « Ils semblent rêver d’une dictature à la Staline« , avance gravement Daniel Buren (on lui a sucré une subvention ?). Appelés à la rescousse sur une pleine page, des lecteurs du Monde évoquent les persécutions subies par Boris Pasternak et Alexandre Soljenitsyne, comparent l’écrivain à Victor Hugo persécuté. Le même jour, un édito sobrement intitulé « Bavures » complète très joliment le décor, donnant à l’ensemble un vague fumet « Chili 73 » ou « Allemagne 33 », toujours très apprécié de la clientèle en mal de sensations fortes. Le pire, c’est que, comme le démontre Marc Cohen, on peut toujours compter sur la Sarkozie et dépendances pour fournir à ce petit monde sa dose de frisson en ânonnant les mots qui font peur.
Toute cette agitation est surréaliste − au sens propre. Ou peut-être sous-réaliste. À entendre les représentants de la « France qui résiste« , une seule conclusion s’impose : le réel a disparu. C’est fâcheux. Mais qu’est-ce qu’on se marre ![/access]
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