Mon fils Frédéric s’est récemment pris de passion pour une locomotive bleue venue d’outre-Manche : Thomas le Petit Train. Le merchandising indélicat subit par cette série d’historiettes illustrées m’avait d’abord fait hausser mes sourcils de censeur. Mais un examen plus attentif a dissipé toutes mes craintes. Car les nouveaux réacs ont enfin leur dessin animé. Né en 1945 sous la plume du Révérend Wilbert Awdry et constamment remis au goût du jour depuis, les aventures de Thomas et ses amis véhiculent des « valeurs à l’ancienne », de l’aveu même de ses éditeurs.
Jugez plutôt. Thomas est une locomotive à vapeur qui vit sur l’île de Chicalor. Je devrais d’ailleurs dire qu’il travaille sur cette île car je n’ai pas le souvenir d’un seul épisode où un personnage joue, flâne ou se repose. Les amis de Thomas sont tous des engins mécaniques : locomotives, wagons, grues et même un hélicoptère. Notons que cette profusion de machines, moteurs et mécaniques industriels est sans doute ce qui plaît le plus aux enfants. Le principal personnage humain, le Gros Contrôleur, est habillé comme un ministre de Pompidou : jaquette, pantalon milleraies et haut-de-forme. Son parcours est une apologie du mérite et de l’ascension sociale par le travail : « il a gravi les échelons, passant de conducteur à contrôleur », son travail consistant à « s’assurer que les locomotives soient pile à l’heure et toujours utiles ».
Car voilà le sens de la vie dans l’univers merveilleux et productiviste de Thomas le Petit Train : être ponctuel et bien faire son travail. Imaginez donc : le pire qui pourrait arriver aux personnages, ce serait d’être cinq minutes en retard pour prendre un chargement de minerai de fer.
Aucune histoire ne serait intéressante sans péripétie ou conflit. Les Barbapapas passent leur temps à faire la guerre à de vilains pollueurs. Les Bisounours combattent le professeur Coeur-de-Pierre et le sorcier Sans-Coeur. Rien de tel chez Thomas : il n’y a pas de méchant à détruire. Ca ne veut pas dire que tout est rose. Les parents seront surpris de voir des personnages encore plus vaches que les collègues de bureau dans Dilbert : les plus rapides toisent les lents, les beaux snobent les laids, les forts friment devant les petits. L’abondance de blagues, chamailleries, manigances ou rivalités dissimule en fait un univers relationnel assez rare dans les séries pour enfants.
La morale de Thomas le Petit Train, c’est que le mal est principalement en moi et pas dans les autres. Et que je peux me réformer. Chaque épisode tourne autour un défaut propre à un personnage. Hank agace les autres locomotives par sa maladresse, « mais comme il cherche à bien faire, ses défauts sont pardonnés ». James « est si fier qu’il trouve des tâches indignes de lui, ce qui lui vaut des problèmes ». Whiff « adore ramasser les ordures et ne remarque même pas l’air méprisant que prennent certains à son passage ; ne se souciant guère de son allure, elle met un point d’honneur à faire correctement son travail. » Tous les personnages possèdent des travers qui provoquent des péripéties. Et c’est en surmontant leurs propres défauts qu’ils permettent à l’histoire de se dénoues.
Thomas a lui aussi ses tares : « il fait souvent preuve d’un zèle excessif et préfère faire lui-même des travaux qu’il conviendrait de confier à des locomotives plus puissantes et plus expérimentées ». Il n’est ni le plus fort ni le plus rapide. Mais le plus utile. Le monde de Thomas, c’est celui de la diversité des compétences et du travail d’équipe, le monde de la division du travail, de la production et du service, celui de la coopération volontaire, à l’opposé des modèles collectivistes de prédation et de coercition.
Au fond, pourquoi lisons-nous des histoires aux enfants ? Parfois pour qu’ils se taisent, le plus souvent pour leur donner une éducation morale et sentimentale. Celle de Thomas le Petit Train est une célébration sans retenue des valeurs traditionnelles de l’industrie, de la ponctualité et du sérieux. Les néo-réacs devraient donc regarder de plus près cette petite locomotive à charbon, dure à la tâche…et qui crache du CO2 toute la journée !
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