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Tour: des jours avec et des « jours sans »

Dans la petite histoire de la Grande boucle, beaucoup de coureurs ont vécu le fatidique "jour sans"...


Tour: des jours avec et des « jours sans »
10e étape du Tour de France, le mardi 9 juillet 2024 © Goding Images/Shutterstock/SIPA

Le Tour de France était de retour mardi 9 juillet, après une pause lundi.


Si, après une semaine éprouvante, les coureurs du Tour aspirent naturellement à une journée de pause, ils l’appréhendent aussi. Ils craignent surtout de connaître le lendemain « le jour sans », comme cela est arrivé à certains d’entre eux et pas des moindres. C’est « un jour sans », post journée de repos, en 1975, qui priva en effet le grand Eddy Merckx, d’une 6ᵉ victoire et mit fin à son règne. À 6 km de l’arrivée du Pra-Loup, alors qu’il était en tête et devait remporter l’étape et consacrer son insolente domination sur ces rivaux, il fut victime, lui, dit le Cannibale tant il était affamé de victoires, d’une foudroyante fringale qui le cloua sur place. Son rival Bernard Thévenet qui avait été lâché dans la 3ᵉ difficulté de l’étape, le col d’Allos, le rattrapa, lui prit deux minutes et le déposséda définitivement de son ultime maillot jaune. Il dut se résigner à se contenter de cinq victoires1.

Quand la journée de repos est fatale

En 2015, dans une étape qui se concluait aussi sur le Pra-Loup, l’Américain Tejay Van Garderen, connut une identique cruelle mésaventure « d’un jour sans ». Troisième au général, il avait toutes les chances de décrocher la place de second derrière l’intouchable Chris Froome, l’unique quadruple vainqueur du Tour. L’étape comptait cinq cols. Dans le 3ᵉ, un magistral coup de pompe s’abat sur lui. Il met pied à terre. Il ne peut pas repartir. Ses jambes l’ont trahi, ne lui laissant d’autre choix que celui d’abandonner.

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En 2010, l’Australien Cadel Evans a connu le même déboire. La veille du repos, il s’était emparé du Jaune à Morzine-Avoriaz et pouvait envisager de l’emmener jusqu’à Paris. Mais à l’étape de reprise, il y avait le col de La Madeleine. Sur ses pentes, l’équipe Astana place une imparable accélération qui laisse Evans sur place. Ses « jambes étaient en laine »2. Le repos l’avait vidé de son jus. À l’arrivée, son retard est tel qu’il est éjecté du top 10.

En 2000, le patenté dopé et septuple vainqueur du Tour déchu, Lance Armstrong, dans le col de la Morzine, a, lui aussi, connu le fatidique « jour sans ». Il était sûrement chargé à bloc, avait comme de coutume « allumé la chaudière »2. Comme quoi « saler la soupe »2 avec des amphétamines ou de l’EPO, n’est pas l’antidote à « se retrouver dans la Pampa »2.

Gueule de bois et dopage au champ’

Le plus rocambolesque « jour sans » revient sans conteste à Jacques Anquetil, maître Jacques, le premier quintuple vainqueur de la grande boucle. C’était jour de repos, à Andorre. Le lendemain, le 6 juillet 1964, l’étape conduisait les coureurs à Toulouse par le col d’Envalira. Pour Anquetil, un jour de repos devait être un jour de relâche, foin du moindre entraînement. Radio-Andorre (aujourd’hui Sud Radio) organise un méchoui, très à la mode dans ces années-là, coutume importée par les Pieds-Noirs qui avait fui l’Algérie après son indépendance. Tous les coureurs y sont invités. Seul Anquetil honore l’invitation avec son directeur sportif Raphaël Geminiani, dit « Grand fusil », qui est décédé le 5 juillet dernier à 99 ans. Preuve que le vélo conserve son homme. Ses deux principaux rivaux, Raymond Poulidor et Federico Bahamontes, préfèrent rester dans leur chambre d’hôtel vu que l’étape qui les attend risque d’être cruciale.

Donc pendant ces agapes, Anquetil s’empiffre de mouton et écluse à discrétion les verres de sangria qu’il puisse dans une baignoire faisant office de bar. Quand il regagne son hôtel, le sybarite Anquetil est à la ramasse. Quand il s’aligne au départ le matin qui suit, il n’en peut mais… la rumeur avait couru: il avait une gueule de bois carabinée… Le départ donné, les attaques fusent tous azimuts. Anquetil résiste mais arrive le col fatidique, le juge de paix, et dès les premières pentes, il décroche. Au sommet, il accuse quatre minutes de retard. Alors qu’il est second au général, devancé par son rival de toujours, l’humble éternel second Raymond Poulidor, le flamboyant Maître Jacques peut déjà faire son deuil de la perspective d’une cinquième victoire. C’est alors que Geminiani lui passe un bidon de champagne. Anquetil en est très friand. Miracle, il fait la descente à tombeau ouvert, à l’aveugle, fendant un épais brouillard. Il revient sur ses rivaux qui n’en reviennent pas de son retour. Les exégètes de la pédale imputent cet exploit aux bulles du pétillant champenois. En vérité, on ne peut qu’être sceptique. Aux bulles avait été très certainement additionnée quelques substances dont la vertu première était de rendre intrépide celui qui en consommait. Le comble, c’est qu’une voyante peu clairvoyante lui avait prédit une chute mortelle dans cette descente. Et ce fut aussi un jour de poisse pour le sage Poupou. À quelques kilomètres de l’arrivée, il crève et personne n’a l’élégance de l’attendre. Et ainsi, lui, perdit le seul Tour qu’il était en fait en mesure de gagner et Anquetil gagna son cinquième alors qu’il s’annonçait fatalement perdu.

Fini de blaguer

C’est pour cela qu’aujourd’hui le jour de repos n’est pas un jour aussi de repos que ça. C’est une journée austère, pas question de se relâcher, pas la moindre facétie. Le matin les leaders sacrifient aux contraintes médiatiques, les équipiers se soignent, puis sortie à vélo afin de garder le tonus musculaire. Le vrai repos se résume à une sieste l’après-midi… et au réveil, le coureur a déjà la tête dans l’étape du lendemain avec l’appréhension d’avoir « le jour sans ».

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Aucun n’a connu mardi dans la morne étape qui a conduit le peloton d’Orléans à Saint-Amand-Montrond (187,3 km) cette amère déconvenue. Sauf peut-être Cavendish: à 10 km de la ligne, son équipe lui avait préparé un solide train. Il n’avait pas caché son intention de gagner et d’inscrire ainsi à son palmarès une 36ᵉ victoire d’étape. Mais à moins de 3 km de l’arrivée, il s’est éclipsé curieusement des avant-postes et ne s’est même pas classé dans le top 10… peut-être parce que c’était son « jour sans » à lui…  Dommage, car c’est à Saint-Amand-Montrond (18), alors qu’il était encore novice sur le Tour, qu’il avait remporté une de ses toutes premières 35 victoires d’étape, un record absolu qui est peu probable d’être battu un jour.

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  1. Ils sont quatre à avoir remporté cinq Tours : Anquetil, Merckx, Hinault, Indurain ; un quatre : Froome ; trois à avoir gagné trois fois : Lemond, Bobet, Thys. ↩︎
  2. Jargon cycliste (en voie d’obsolescence). Voir le savoureux dico des expressions du cyclisme : Allumer la chaudière, de Jean-Damien Lesay, Editions de la Martinière (2013) ↩︎
  3. Jargon cycliste (en voie d’obsolescence). Voir le savoureux dico des expressions du cyclisme : Allumer la chaudière, de Jean-Damien Lesay, Editions de la Martinière (2013) ↩︎
  4. Jargon cycliste (en voie d’obsolescence). Voir le savoureux dico des expressions du cyclisme : Allumer la chaudière, de Jean-Damien Lesay, Editions de la Martinière (2013) ↩︎
  5. Jargon cycliste (en voie d’obsolescence). Voir le savoureux dico des expressions du cyclisme : Allumer la chaudière, de Jean-Damien Lesay, Editions de la Martinière (2013) ↩︎



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écrivain et journaliste français.

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