Le récent Tour de France, gagné par un Colombien, avec aucun Français sur le podium, est un excellent exemple de notre propension de plus en plus grande à gâcher nos chances, de notre détestation de la victoire et de notre obsession morbide pour l’échec.
A tous les coups, le parcours 2019, se terminant par trois jours dantesques dans les Alpes, avait été dessiné pour donner sa chance à un Français, Thibaut Pinot, seul capable, d’après les spécialistes, de tirer son épingle du jeu dans une configuration où les Colombiens, par ailleurs, sont les rois. De là à penser que ce parcours avait fait, 100 ans du Maillot Jaune aidant, l’objet d’un deal entre le pouvoir politique, les organisateurs du Tour et les médias, il n’y a qu’un pas que l’on peut aisément franchir. De nombreux indices viennent conforter cette version…
Thibaut Pinot, l’Elu de la Macronie !
Tout se passe au début comme prévu : Thibaut Pinot fait l’objet d’une incroyable couverture de la presse (France 2 le « chouchoute », les commentateurs l’encensent, la chaîne réalise même, pendant le Tour, un film sur Pinot : on le suit, au jour le jour, sur son vélo, et aussi dans l’intimité du bus, de sa chambre, de sa salle de massage et de ses repas), mais aussi des politiques (deux ministres viendront spécialement lui souhaiter bonne chance durant le parcours, Roxana Maracineanu et Muriel Pénicaud). Avant même d’avoir gagné, et alors qu’il a abandonné 3 fois sur 6 participations, il est déjà la star… L’Elu.
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Le scénario est écrit d’avance :
Pendant les deux premières semaines, Pinot devra se servir, comme d’un poisson-pilote, de la hargne d’un autre Français, Julian Alaphilippe, un « puncheur » plein de tempérament, spécialiste des démarrages rageurs, pour se faire « aspirer ». Après avoir fait le boulot pour lui, Alaphilippe se retirera discrètement. Il le déposera au pied des Pyrénées, en bonne position au classement général. Pinot y fera un « festival », avec ses qualités de grimpeur, il récupèrera le Maillot Jaune, et il se présentera dans les Alpes avec une avance confortable pour résister au retour du vainqueur 2018 Geraint Thomas et surtout des condors colombiens. A l’arrivée à Paris, ce sera l’apothéose : première victoire française depuis 34 ans, le jour du 100ème anniversaire de la création du Maillot Jaune. Le chouchou des médias aura gagné, on remerciera le « factotum » Alaphilippe qui ira se rhabiller, cocorico, vive la France, vive les organisateurs, vive la presse qui a misé sur le bon cheval, on sortira le documentaire sur la nouvelle star, et tout le monde sera content et partira en vacances fiers et heureux du devoir accompli.
Rien ne se déroule comme prévu
Jusque-là, rien de bien original ni de si malhonnête, chaque pays du monde ayant évidemment une propension, lorsqu’il organise un événement sportif, à tenter de favoriser, sans l’avouer, mais parfois de façon éhontée, ses propres nationaux.
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Mais les choses ne se passent pas comme prévu : le factotum Alaphilippe ne se plie pas au scénario écrit d’avance par ses « autorités de tutelle » (la politique et la presse). Crime parmi les crimes, il a du caractère, il est malin, et il aime gagner. Il adore le public qui le lui rend bien, et le vénère pour son panache : c’est la « Jujumania ». Il ne se contente pas de servir de rampe de lancement. Il prend le maillot Jaune, il se bat comme un beau diable pour le garder et le reconquérir lorsqu’il le perd. Pire encore, pendant la 10ème étape, de Saint-Flour à Albi, son équipe organise un traquenard, un « coup de bordure », consistant à accélérer brutalement pour faire perdre au peloton le bénéfice de la protection contre le vent. Les Colombiens et Geraint Thomas ne se laissent pas prendre, mais quelques autres, dont Pinot et son équipe, se font avoir comme des bleus. Au final, « l’Elu » perd 1mn 40 sur les meilleurs, et l’essentiel de ses chances de se placer avant le « plat de résistance » particulièrement roboratif des Alpes. Alaphilippe en remet encore une couche, en gagnant avec un brio incroyable, devant Thomas, le contre-la-montre de Pau, lors de la 13ème étape. Il accroît ainsi son petit « matelas » qu’il tentera de défendre ensuite comme un forcené. En somme, il fait ce que Pinot devait faire.
En France, on n’aime pas les gagneurs
Et c’est là que les choses deviennent passionnantes. Bien sûr, les événements ne se sont pas passés comme les « parrains », politiques, presse et organisateurs, le voulaient. Le « chouchou » est un peu… dans les choux ! Mais ils ont, devant, un véritable gagneur, qui vient de mettre une « pile » au dernier vainqueur dans son exercice favori. Il est en jaune depuis 10 jours. Bien que ce soit plus un coureur de « classiques » que de grands tours, et bien que son équipe ne soit pas la meilleure, il reste très bon sur le vélo. Il est solide en montagne, il sait bien ce qu’il veut, il a la tête froide, il a un tempérament de feu, il se bat, il s’accroche à son maillot, il ne pense qu’à gagner, et le public l’adore. Que veut-on de plus ? Dans n’importe quel pays, à défaut d’abandonner le « loser » à son sort, au moins, on prendrait fait et cause pour le « winner ». On le soutiendrait, on gonflerait la « Jujumania », on se demanderait « Peut-il gagner ? Va-t-il gagner ? ». On feuilletonnerait sur ses chances. Mais en France, on n’aime pas les gagneurs, ceux qui montrent trop d’indépendance et de caractère. Surtout celui-là, à qui l’on reproche le « coup de Jarnac » de la bordure, alors que c’est un grand classique. On lui en veut d’avoir brisé le beau rêve de la presse, ça se sent en filigrane dans tous les commentaires.
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Non, ceux qu’on aime, ce sont ceux qui obéissent, qui jouent le jeu, ceux qui ont le caractère faible, qui font allégeance au pouvoir. Pinot, qui a accepté de se faire « stariser » avant même d’être en jaune, de se laisser filmer, boudeur, après le « coup de la bordure », ou dans sa chambre, là où il devrait pouvoir être seul pour se refaire, puis plus tard, en larmes, après son abandon.
Contraste sidérant
Alors, l’incroyable se produit : jour après jour, tous les commentateurs lâchent le Maillot Jaune. Ils se demandent en direct, alors qu’il est leader : « Il ne peut pas gagner. Quand va-t-il donc exploser ? ». Comme il n’explose pas, on se repose la même question le lendemain. A propos du perdant, contre toute réalité, c’est l’inverse : « Peut-il encore gagner ? Va-t-il gagner ? ». Le contraste est sidérant.
Evidemment, ce qui devait arriver arrive : le leader, attaqué jour après jour par l’équipe reine Ineos, celle de Thomas et des Colombiens, finit par céder, avec les honneurs mais sans aucun soutien de sa propre presse. Le perdant finit par abandonner, une fois de plus, après avoir été encensé par la même presse. Florilège :
– « L’équipe de Pinot va peser sur le destin du Tour de France » (RMC Sport)
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– « Attaquer dans l’Izoard ? Je ne vais pas dévoiler mes plans ! » (Eurosport)
– « Thibaut Pinot, blessé, abandonne lors de la 19ème étape »
– « Abandon de Pinot : les images magnifiques (sic !) et terribles »
– « Bobet, Ocaña, Hinault, ces abandons mythiques qui ont fait la légende du Tour » (En quoi l’abandon de Pinot est-il comparable à ceux de ces trois géants ?)
Le dernier jour, on met en scène ce perdant « magnifique » dans un documentaire poignant (voir vidéo plus bas), qui nous tirerait des larmes d’émotion si ce n’était pas de tristesse devant tant de bêtise et de chances gâchées… Du valeureux maillot jaune, rien… ou presque.
Car finalement, on perd tout : effacés du podium, les Français n’ont comme consolation que le maillot du meilleur grimpeur attribué à Romain Bardet, alors qu’on avait deux superbes chevaux dans le groupe de tête… dont un en tête !
Triomphe de la pensée politique : on monte en haut lieu un beau scénario, et tout le monde doit s’y plier, même si ça ne marche pas. Triomphe de la pensée magique sur la pensée réaliste : on préfère celui qui est le plus sympathique (en réalité, celui qui est malléable), plutôt que celui qui gagne. Celui qui gagne, et qui le prouve, doit perdre, parce qu’il ne fait pas ce que l’on avait décidé pour lui. Obsession morbide pour l’échec : on parie, envers et contre tout, sur les perdants. On sort les mouchoirs, on les encense, alors qu’on méprise nos gagneurs. Le patron de l’équipe Ineos, qui gagne tous les Tours de France depuis 7 ans, sera le seul à dire que Julian Alaphilippe a un grand avenir. Forcément, pour lui, gagner, c’est un critère qui compte.
Ambitieuse comparaison
Risquons-nous à une ambitieuse comparaison. En politique, c’est un peu pareil :
Poutine et Bachar sont les maîtres du Moyen Orient… mais on ne leur parlera pas, parce qu’ils sont méchants. On préférera, comme avec Pinot, contempler notre splendide échec plutôt que de construire l’avenir avec les vainqueurs… Trump sera sans doute réélu à la tête de la première puissance du monde, mais on continuera à le dénigrer, parce qu’il est vulgaire. Nous perdrons encore plus notre influence, mais tant pis… pour lui !
Nous taxerons nos entreprises et nos consommateurs à cause du réchauffement climatique, même si les principaux pollueurs (USA, Inde, Chine) ne le font pas. Nous devrons « montrer l’exemple », et faire hara-kiri sur notre compétitivité et notre pouvoir d’achat, même si nous ne représentons plus que 0,1% de la pollution mondiale. Triomphe de la bêtise… et promesses de décadence !
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