Je n’ai jamais vraiment été un grand amateur de Charlie Hebdo. Je jetais bien un coup d’œil de temps à autre aux cochoncetés de Vuillemin, Wolinski ou Tignous, mais Charlie Hebdo n’était guère plus pour moi qu’un élément du décor urbain avec ses couvertures salingues qui vous sautaient parfois à la figure au détour d’une rue ou sur un kiosque à journaux.
Au-delà du hashtag
Le 7 janvier, j’ai découvert que celui-ci comptait d’autant plus pour moi que deux sociopathes l’ont troué à grands coups de kalachnikov pour le repeindre en rouge sang et vert intégriste. Je n’avais peut-être jamais été un grand amateur de Charlie, mais j’appréciais assez peu qu’on vienne en trucider les auteurs au nom d’une susceptibilité religieuse à tendance psychotique. Le #jesuisCharlie lancé quelques heures après la tuerie était certes horripilant, injonction pavlovienne reprise jusqu’à l’écœurement par les médias, mais ce n’est pas un hashtag qui a jeté 4 millions de personnes sur les pavés le 11 janvier. Il n’a fait que plaquer immédiatement des mots sur une prise de conscience immédiate, matérialisée quatre jours plus tard par la plus grande manifestation de l’histoire de France depuis la Révolution. Je n’ai pas eu à barguigner longtemps pour savoir dans quel camp j’étais ce jour-là, comme je le suis encore aujourd’hui.
Les tueurs de Charlie et de l’Hyper Cacher ont désigné très clairement leur ennemi : notre civilisation, nos mœurs, la manière dont nous admettons les rapports entre hommes et femmes et le grand cas que nous faisons encore (jusqu’à quand ?) du pluralisme des opinions, qu’elles s’expriment sur le papier, dans les crobards, les articles ou les conversations. Charlie existe toujours, malembouché, malpoli, énervant, grossier, simpliste, insultant, et il m’est aussi essentiel qu’il continue à exister que le journal dans lequel j’écris en ce moment même, acharné à défendre avec entêtement cette idée étrange que l’on peut, dans ce pays, continuer à penser ce que l’on veut, à le dire et à l’écrire et à en discuter avec qui l’on souhaite. Voilà pourquoi je suis toujours Charlie. Surtout si vous n’êtes pas d’accord.