Refuser de voir les problèmes est au minimum une erreur, et fréquemment une faute. Refuser de voir les signes d’espoir l’est aussi, car sous le masque du réalisme, le cynisme et le détachement ne sont bien souvent qu’excuses à la facilité de l’inaction et à la tentation de l’égoïsme.
Alors que nous venons de passer de 2017 à 2018, les motifs d’inquiétude ou de colère ne manquent pourtant pas.
Le Réveillon de l’apartheid…
A Berlin, les autorités ont créé des zones réservées aux femmes pour la Saint-Sylvestre. Sous prétexte de sécurité, on acte l’approche culturelle des agresseurs de Cologne, à savoir l’apartheid des sexes, et leur vision des rapports humains : une femme qui veut être en sécurité n’a qu’à ne pas se mêler aux hommes – donc celles qui fréquentent les espaces mixtes acceptent les risques et sont des proies légitimes. Un homme n’a pas à se maîtriser – sans doute ces hommes-là s’en estiment-ils incapables – mais il incombe aux femmes de s’éloigner de lui pour ne pas le tenter.
Fort heureusement, de très nombreuses festivités de par le monde se sont fort bien passées, et ont prouvé encore une fois que non, les hommes ne sont pas tous soit des bêtes obsédées, soit des chevaliers servants-serviles dévirilisés. Et non, les femmes ne sont pas soit des oies blanches, soit d’abominables allumeuses, soit des viragos haïssant les hommes, soit des femmes faciles.
…et le Noël qu’on ne veut plus voir
Fidèle à elle-même, Anne Hidalgo a montré que désormais, en France, s’il est compliqué pour un maire d’installer une crèche de Noël, il n’y a en revanche aucun problème pour faire la promotion d’une exposition en faveur d’un criminel, assassin et tortionnaire patenté.
Des enseignants se sont rendu compte – ô surprise ! – qu’un dessin animé intitulé « l’Étoile de Noël » où il est question entre autres d’un âne, de rois-mages et d’un jeune couple en voyage, madame étant enceinte, peut éventuellement avoir un rapport avec Jésus. Si les chrétiens ont une fâcheuse tendance à oublier que la fête de Noël est aussi la continuité de Yule et des Saturnales, voici que l’Éducation nationale semble découvrir qu’en plus d’un millénaire et demi depuis la conversion de Constantin et le baptême de Clovis, le christianisme a eu une certaine influence sur notre culture…
Macron, toujours pas clair
Et puisqu’il est question de découverte des évidences, il devient urgent qu’Emmanuel Macron comprenne que toutes les religions et les courants qui les composent ne sont pas interchangeables et ne se valent pas. En effet, de ses interlocuteurs du 21 décembre, tous ne représentent pas une croyance dont l’une des plus hautes instances encourage la criminalisation de l’athéisme (Al-Azhar en Egypte, où le problème n’est pas récent mais vient de prendre une tournure encore plus inquiétante qu’auparavant. Notons particulièrement les propos du chef du Conseil Suprême de cette institution contestée mais toujours influente : « Il est nécessaire de promulguer des lois qui dissuadent les gens de violer les instincts naturels de l’homme et de punir ceux qui ont été séduits par l’athéisme. La force de dissuasion doit être sévère pour empêcher la propagation de cette pensée empoisonnée parmi les musulmans, notamment les plus jeunes d’entre eux. »). Notre président devrait arrêter de croire que la laïcité impose une soi-disant neutralité aveugle aux menaces et aux différences. Cela éviterait à Emmanuel Macron de parler de « radicalisation de la laïcité » devant le président d’une association religieuse qui refuse encore et toujours la liberté de conscience et qui est proche de celui qui déclarait « la démocratie c’est comme un tramway, une fois arrivé à destination on en descend. » Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.
Risque ou espoir, risque et espoir, ce qui est en train de se passer en Iran est peut-être bien ce qu’il y a de plus important en ce moment. Il y a tant d’incertitudes et de difficultés pour vérifier les informations qu’il est trop tôt pour prétendre les analyser, mais, quoi qu’il arrive, n’oublions pas que les Iraniens sont un grand peuple. La République islamique ne doit pas nous faire perdre de vue la richesse de la culture qui a donné naissance aux éblouissantes miniatures du Shâh Nâmeh et à Sohrawardî. Prenez le temps de lire Vincent Eiffling et le fil Twitter de My Stealthy Freedom pour vous faire une idée. Je ne sais pas qui est cette femme du « mercredi blanc », mais son courage est magnifique, et l’adhésion massive et comme évidente au symbole qu’elle est devenue montre que l’obscurantisme n’a pas gagné.
Toujours optimiste !
Ne boudons donc pas notre plaisir devant ces faits, grands ou petits, qui prouvent que l’espérance n’est pas vaine. N’est-ce pas, d’ailleurs, le sens premier de ces « fêtes de fin d’année », la lumière au cœur des ténèbres, l’espoir, la renaissance, la régénération ? C’est vrai de Hanoucca et du miracle de la lampe qui perdure dans le Temple, de Noël et de l’enfant de lumière né au milieu de la nuit, et même de l’autre côté de la Terre puisque c’est aussi le sens des festivités shintô célébrées en ce moment au Japon.
La Police nationale a réagi avec une certaine élégance aux outrances de Mathieu Kassovitz. Des syndicats ont porté plainte, et à la lumière des agressions de la Saint Sylvestre il est temps que ceux qui encouragent la violence contre les forces de l’ordre soient mis face à leurs responsabilités. Et l’institution lui a simplement rappelé qu’elle assure « la sécurité de chaque citoyen, y compris la vôtre et celle de ceux qui vous sont chers. » A méditer.
Geste extraordinaire de la championne d’échecs Anna Muzychuk, qui a refusé de se rendre en Arabie Saoudite pour un tournoi, car pour elle la dignité est plus importante qu’un titre – comme pour plus d’une centaine de ses pairs, semble-t-il. Vivement que nos dirigeants aient le courage et la clairvoyance de ces grands joueurs d’échecs ! Le succès immédiat de leur démarche prouve que l’attente est réelle, et que les gens sont prêts. Les pétrodollars ne peuvent pas tout acheter.
Delphine Horvilleur et Rachid Benzine viennent de publier un livre : Des mille et une façons d’être juif et musulman. Leur capacité à échanger à la fois dans l’ouverture et dans la vérité, à accepter de se rejoindre, mais à accepter aussi d’acter les limites et les différences sans jamais perdre leur complicité et leur respect mutuel, est admirable. Grandeur et fécondité d’un véritable dialogue.
Sur son compte Twitter, le musée du Louvre a souhaité un joyeux Noël en l’illustrant de superbes tableaux de la Nativité. Quelques jours plus tard, un bas-relief syrien de la naissance d’Horus. La culture plus forte que la volonté totalitaire de réécrire ou d’effacer l’Histoire.
Après la décision de Donald Trump d’acter la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël (je partage totalement l’analyse qu’en fait Alain Finkielkraut), on pouvait craindre que la « rue arabe » ne s’enflamme dans une spirale de violence – et le danger n’est pas écarté. Mais jusqu’ici, il n’en a rien été. Manifestement, la « rue arabe » vaut mieux que ça.
Le succès de la très belle émission « Prodiges » montre que les Français ont soif d’art, de beauté et de culture, ce qui est déjà fantastique. Et on a aussi pu voir que Lunel n’est pas seulement un nid de djihadistes, mais aussi le berceau d’une jeune danseuse magnifiquement talentueuse. Merci à elle, et nos voeux l’accompagnent pour le Youth America Grand Prix (YAGP). Jasmine, tu vas émerveiller New York !
Et enfin, aujourd’hui comme hier et comme demain, et tout spécialement le 6 janvier, nous serons « toujours Charlie » !
Toujours Charlie !
Peu importe le talent plus ou moins grand de ses contributeurs, peu importe qu’ils soient plus ou moins drôles, Charlie est devenu une icône, c’est à dire la représentation d’une vérité plus grande, et douze personnes l’ont payé de leur vie. Leur sang versé fait de Charlie bien plus que Charlie : une incarnation de la liberté d’irrévérence sans laquelle il ne peut pas y avoir de véritable liberté de penser. Et l’équipe actuelle porte ce beau mais lourd héritage avec panache. Alors oui, je suis résolument « toujours Charlie » !
Le 6 janvier aux Folies Bergères, il y aura une assemblée fabuleuse. Des personnes avec lesquelles il est réconfortant et stimulant d’être d’accord – la proximité de gens de qualité est toujours agréable, et leur talent nous permet de clarifier et structurer nos propres convictions lorsque nous les partageons. Des personnes, aussi, avec lesquelles il est passionnant de ne pas être d’accord, car leur intelligence nous permet alors de progresser en réfléchissant à leurs arguments et aux raisons de nos éventuelles réticences. Des hommes et des femmes, en somme, qui même s’ils sont sur certains points des adversaires intellectuels ne seront jamais des ennemis, des personnes que je suis heureux et fier de voir s’impliquer dans l’avenir de notre pays.
A tous ceux qui rendent cette journée possible, très sincèrement, merci.
Et à tous, une heureuse année 2018 ! Puissiez-vous non seulement y trouver la joie, mais aussi l’apporter aux autres !
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