Les bouquinistes ne seront finalement pas virés des quais de Seine durant les JO. Causeur peut donc continuer d’ouvrir leurs boites aux vieux livres.
Quand on naît en 1905, dans le quartier de La Chapelle, d’un père artisan spécialisé dans la fleur artificielle et d’une mère modiste, on a peu de chance de connaître la notoriété. Dans un livre introuvable, même chez un bouquiniste, Albert Simonin révèle sa vie de galère. Dans Confessions d’un enfant de La Chapelle, il raconte qu’il fait les poubelles de grands restaurants pour remplir son ventre vide.Il évoque un Paris populaire où l’essentiel, c’est de gagner sa croûte. Albert obtient le certificat d’études. À cette époque, c’est un diplôme qui compte. Mais la poisse s’invite au bal de l’existence. Il est rapidement orphelin. Il doit donc bosser, à 13 ans à peine. Il fait plusieurs petits boulots, trafique un peu, la justice le traque. Il s’esbigne deux ans en Espagne, histoire de se faire oublier des condés. En 1930, il devient chauffeur de taxi, à Paris. Il s’imprègne du langage de la rue, circule dans les quartiers chauds, Pigalle et ses clandés n’ont plus de secret pour lui.Il publie son premier livre chez Gallimard : Voilà taxi ! Il a l’anecdotique drolatique, la métaphore audacieuse. Il devient journaliste, ouvre les vannes de l’argot pour fertiliser son style. Un écrivain est né. Admirateur de Céline, il sait ficeler une intrigue avec des personnages pittoresques sans jamais tomber dans le vulgaire.
Puis, c’est la « drôle de guerre ». Albert se marie, devient typographe. C’est enfin la rencontre avec Marcel Duhamel, le « père » de la Série noire, lancée en 1945, chez Gallimard. Ça énerve un peu Albert d’avoir à se fader des auteurs américains. Montmartre est aussi haut en couleur que Broadway. Il se met à sa table de travail, écrit une première scène décisive en moins de temps qu’il ne faut pour fumer une Gitane. Il raconte que les personnages lui échappent, vivent leur vie. Pour cela, il faut les aimer un peu ; et surtout ne suivre aucun plan. Le résultat : Touchez pas au grisbi !
J’ai trouvé un exemplaire de l’édition originale de 1953, avec sa reliure mythique, et la préface de Pierre Mac Orlan. Ce dernier résume : « L’auteur pense dans la langue dont il se sert afin de décrire, dans une œuvre d’imagination, probablement, le comportement des professionnels du vol à main armée. »Léo Malet le surnomme « le Chateaubriand de l’argot ». Cette langue percutante permet à un fait divers crapuleux de faire une entrée fracassante en littérature. Le public est au rendez-vous. Plus de 250 000 exemplaires sont rapidement vendus. Le cinéaste Jacques Becker s’empare de l’histoire de Max le Menteur, interprété par Jean Gabin,dont la carrière est alors en perte de vitesse. Face à lui, un catcheur inconnu : Lino Ventura. En tout, Simonin signe, avec son complice Michel Audiard, treize scénarios dont quatre adaptations de ses romans (Le cave se rebiffe, Les Tontons flingueurs…).
Albert Simonin meurt à Paris en 1980. Le fisc a fini par mettre la main sur son grisbi. Impossible de devenir riche quand on vient du quartier de La Chapelle. « On ne nous a pas appris », confie-t-il à Alphonse Boudard.
Albert Simonin, Touchez pas au grisbi ! (préf. Pierre Mac Orlan), « Série noire », Gallimard, 1953.