Désolé de vous le dire brutalement, mais Badiou avait raison : il y a du Pétain dans Sarkozy. Attention, je connais mes droits : pas que du Pétain, et pas dans tout Sarkozy ! D’ailleurs je n’ai pas lu tout Badiou sur Sarko : juste le « prière d’insérer » et quelques recensions élogieuses, perplexes ou indignées – mais toujours distrayantes.
N’empêche, le 1er mai 1941, qui, sinon le Maréchal, disait élégamment : « Je tiens mes promesses, même celles des autres » ? Certes, en disant cela, l’intéressé mettait la barre un peu haut ; la preuve : il est passé en-dessous. (On le lui a assez reproché depuis.) Mais toute comparaison a ses limites – comme les digressions, je sais !
N’empêche que, pour en revenir à notre maréchal-président, il a bel et bien tenu la promesse des autres. C’est lui qui a commencé de libérer (ou de « priver », comme on dit désormais dans l’opposition) le service public de la manne gluante de la publicité. Une revendication historique de la gauche! (du moins quand elle n’est pas aux affaires). Retiens bien ça, petit scarabée : en démocratie, l’opposition ne s’oppose pas réellement au pouvoir ; juste au fait qu’il soit au pouvoir (au lieu d’elle).
Alors bien sûr les sarkophages primaires diront qu’il n’a pas agi ainsi sans les plus noires arrière-pensées. Genre, renflouer TF1 (et alors ? chacun ses pauvres) ou déstabiliser la gauche (mais là, on frôle l’emploi fictif…)
Mais on s’en fout : en matière de télé, n’est-ce pas, on croit ce qu’on voit. Pas forcément tout ce que l’on entend : dès qu’il s’agit d’audiovisuel, tout le monde a tendance à dire n’importe quoi. Ainsi, depuis plusieurs mois, la bataille de la pub se déroule à fronts renversés. Un président « de droite » prend une mesure « de gauche » ? Aussitôt ladite gauche, que le monde entier nous envie, retrouve son réflexe d’opposition (ou son opposition réflexe), fût-ce au prix d’un renoncement de plus à son traditionnel credo. Vive la pub sur la télé publique – puisqu’en face ils sont contre !
Mais soyons franc : ce n’est pas non plus la première fois que la gauche change d’erreur, sur ce sujet comme sur d’autres… Qui a ouvert cette boîte de Pandore de la marchandisation de la télé ? François Mitterrand en personne, élu pour « rompre avec le capitalisme », s’il vous plaît !
Dès 1984, il charge un de ses proches choisi au hasard (André Rousselet) de créer Canal Plus, une chaîne privée et payante mais néanmoins « progressiste » – sans doute le berceau du boboïsme français. L’année suivante, le même président passe la vitesse supérieure en portant sur les fonts baptismaux la 5 berlusconienne, puis une TV6 luxembourgeoise.
Mitterrand ouvre ainsi délibérément la voie à la privatisation de TF1. Mais déjà voilà 1986 et la cohabitation. Et notre droite décérébrée va, une fois de plus, « accompagner le changement », comme disait VGE. (Ça m’évite de gouverner, donc ça facilitera ma réélection par Deux Français sur trois, pensait sans doute le sympathique dindon — finalement victime de sa propre farce.)
Que dis-je, accompagner ? La droite va accélérer le mouvement sous l’impulsion de François Léotard, alors politicien UDF et ministre de la « Culture » (avant de redevenir, miraculeusement, un honnête homme). Que fait donc notre pignouf ? Il attribue TF1 à Bouygues au nom du « mieux-disant culturel »…
Il faudra quand même attendre vingt ans pour que Patrick Le Lay rétablisse la vérité sur la mission – pas impossible – ! de Télébéton : « Libérer des espaces de cerveau disponibles pour Coca-Cola. » Y a pas mieux disant !
Morale de l’histoire : dans cette affaire, le clivage traverse la gauche et la droite. D’un côté, ceux qui veulent préserver un service public de qualité (pas pour les syndicats, pour les spectateurs). De l’autre, ceux qui pensent que l’avenir du futur est à une généralisation de la télé « moderne », c’est-à-dire privée, mais surtout démagogique, gratuite et obligatoire. Bien entendu, ce sont généralement ces derniers qui l’emportent. « On a les conséquences », comme disait Bainville…
Dès qu’il s’agit de télé, disais-je, tout le monde dit n’importe quoi ; alors, pourquoi pas moi ? Eh bien, puisque vous me posez la question, la réponse ne se limite pas pour moi à « to pub or not to pub ».
On juge un arbre à ses fruits, comme disait Jésus mon homeboy ; pas aux sécateurs censés l’entretenir. Je croirai au « nouveau » service public quand la quotidienne de Taddeï sur France 3 sera programmée à 20 h 35, en concurrence avec un cycle cinématographique consacré aux frères Coen sur France 2 et, disons, sur France 5 une « Histoire du christianisme » honnête, c’est-à-dire délivrée des postillons insanes du couple infernal Prieur-Mordillat.
Bien sûr, l’ensemble atteindra péniblement 8 ou 10 % des télespectateurs, mais heu-reux. « Moins on est de fous, plus on rit », comme je dis volontiers. Et puis, que je sache, la démocratie audimatique – c’est-à-dire chimiquement pure – ne prive pas encore les minorités de tout droit. Ca m’arrange, parce que si je connais quelqu’un « issu de la diversité », c’est bien moi !
Je dirai même plus : ce petit troupeau en rupture de Panurge dont je m’honore de faire partie devrait en tirer toutes les conséquences, et accepter de payer beaucoup plus cher la redevance[1. Qui coûte quand même trois fois moins cher que l’abonnement à Canal Sat.]. Voire suggérer qu’en soient dispensées ces larges masses qui trouvent leur pitance dans des Commissaire Hanin et autres Mimie Mathy ange gardien, entrelardés de coupures publicitaires à peine plus vides que les programmes.
Au nom de quoi, boudiou, les amateurs de Cochonou à la graisse de pub devraient-ils payer pour ce qu’ils ne regardent pas ? Qu’ils se désabonnent donc du service public ! De toute façon, ils n’y vont voir que ce qui n’y a pas sa place : des cagades néo-populistes genre « Plus belle la vie »…
Je sais, cette mesure est inapplicable ; c’est même pour ça que je ne suis pas ministre. Sinon, on m’accuserait encore d’élitisme, obscurantisme, apartheid culturel et autres grossièretés. Si ça se trouve, je finirais même par perdre la foi en la démocratie[2. Non, je plaisante : c’est déjà fait depuis longtemps.]. Tandis que là, réfugié derrière mon statut de causeur irresponsable, je revendique hautement le droit de dire n’importe quoi dès lors que je le pense — comme tous les autres glands.
Et pas seulement n’importe quoi ! Je veux bien même être le « méchant » de l’affaire, pour peu qu’en face toujours menace le « fléau du Bien », quel que soit son masque du jour. Mais il y a des limites : c’est quand même pas moi tout seul qui ai fait baisser aussi dramatiquement le niveau depuis soixante ans. D’ailleurs j’ai un alibi : je jouais au poker avec Pasqua ! Quant à « relever le niveau », c’est pas non plus mon boulot. Demandez plutôt à ces pelletées de ministres de l’Education nationale (et même de bonne volonté) que la Ve République a usées sous elle, faute d’oser les utiliser pour restaurer l’instruction publique.
Leur mésaventure est toujours substantiellement la même : « Armons-nous, et partez ! » L’Etat les charge de monter à l’assaut du mammouth (quel que soit son nom), puis les abandonne en rase campagne dès les premiers grognements de la Bête. Et mon Dieu, ça n’a pas l’air de s’arranger ! Xavier Darcos pourrait vous le dire, comme avant lui Luc Ferry, voire Jules – si je n’y avais pensé avant eux : « Plus le niveau baisse, plus le ton monte ! »
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