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Touche pas à mon Bordeaux!

Jean-Luc Schilling, Jean Le Gall et Jean-Paul Kauffmann publient "En défense des vins de Bordeaux" (Le cherche midi)


Touche pas à mon Bordeaux!
Jean Le Gall, Jean-Luc Schilling et Jean-Paul Kauffmann © Arnaud Meyar / Hannah Assouline / DR.

À contre-courant des logiques consuméristes et de la sacralisation du vigneron-paysan, Jean Le Gall, Jean-Luc Schilling et Jean-Paul Kauffmann prennent la défense des vins de Bordeaux dans un essai décomplexé aux éditions le cherche midi. Ils disent stop au Bordeaux bashing et merde aux dealers de fake news !


Comme les Trois Mousquetaires, ils s’y sont mis à quatre, sous la direction d’Isabelle de Cussac, pour remettre l’église au milieu du village. Le Bordeaux traîne une mauvaise réputation depuis vingt ans. Il est blacklisté de certaines cartes car il serait trop viriliste, outrageusement boisé, porteur d’une Histoire sombre, fruit de manipulations chimiques et, pour couronner le tout, à la botte des courtiers et d’un critique appelé Monsieur Parker, ex-avocat de Baltimore ; en résumé, de droite, donc ataviquement suspect. Le produit chimiquement pur de l’alliance incestueuse entre le capitalisme-vigneron et la mondialisation tonnelière.

Infamie !

Le Bordeaux a le dos large pour supporter tant d’infamie. On lui reproche sa réussite, ses succès à l’export et parfois, la morgue de ses propriétaires-châtelains qui roulent en Bentley Continental sur des allées gravillonnées alors que d’autres millionnaires du vin, plus à l’Est, font leur tournée démagogique en Citroën C15. Aujourd’hui, des restaurants et bistrots à la mode le snobent, lui préférant des breuvages à l’équilibre douteux et au picotement lancinant dans le palais, la même sensation désagréable en bouche que lorsqu’on lit certains romans intimistes de la rentrée littéraire. Des amateurs réunis en cellules le déconsidèrent par idéologie moutonnière et cet esprit rebelle chaptalisé qui produit les grands enfumages. Pour les militants de la cause « Tout sauf du Bordeaux », le roi d’Aquitaine et sa soixantaine d’appellations sont à bannir des tables. Cette cabale médiatique et cette curée identitaire ressemblent au traitement qu’a subi la campagne de Trump par nos journaux « éclairés ». On l’aura compris, à la fois bouc-émissaire d’un marché à la recherche de nouveaux horizons et victime de son magistère moral sur une profession envieuse, le Bordeaux n’a plus tellement de défenseurs dans notre pays.

On le boit en cachette. Ne surtout pas fanfaronner avec un verre de Bordeaux à une tablée progressiste, au risque d’être excommunié sur le champ. À vrai dire, j’étais très éloigné de ces polémiques, je regardais s’agiter les suffragettes des vins naturels face aux vieilles maisons et leurs façades à l’architecture néo-classique avec un désintérêt courtois. Dans cette lutte qui m’était étrangère, je demeurais fidèle à mes terres centrales, et l’ardent promoteur du Sancerre, du Pouilly-fumé et du Menetou-Salon. Berrichon de naissance, ligérien de cœur, ma consommation ne s’aventurait jamais au-delà de mes limites départementales. Entre Cher et Nièvre, entre chien et loup. En écriture comme en vin, je reste un localier.  

A lire aussi, du même auteur: Gloire au pâté de campagne!

Mais l’arrivée de En défense des vins de Bordeaux en librairie m’a enchanté par sa forme joyeuse et m’a redonné soif. On dit les Bordelais taiseux, reclus dans le secret de leur chai et le molletonné de leur compte en banque. J’ai trouvé, au contraire, leurs trois hussards, pleins de verve, d’humour et d’ironie canaille. Ils ne sont pas payés par un quelconque syndicat pour vanter le Bordeaux, leur plume ne ment pas. On sent leur sincérité et leur insoumission à chaque ligne. Le romancier Jean Le Gall débute son plaidoyer pro-Bordeaux par des scènes de ville (tordantes de vérité) où la cuistrerie des sommeliers activistes et la bêtise méta-contemporaine font des ravages sur les bonnes consciences. Pour un Basque d’adoption, le but de Le Gall est rabelaisien : « Cependant, je forme un vœu, et celui-ci est d’une simplicité qui n’a rien d’une modestie : vous faire ouvrir une bouteille de Bordeaux. Je sais, le chemin s’annonce long du projet à la chose ».

Ton rieur et belle odyssée

Le ton est rieur et le contenu fort documenté, son argumentaire séduit le néophyte que je suis. Il dégonfle la baudruche « Mondovino », le film de Nossiter qui fit tant de mal au Bordeaux. Pièce par pièce, bouchon après bouchon, il démonte les approximations et les raccourcis d’une opération de manipulation (de masse). « Vingt années ont passé depuis la sortie de ce documentaire, qui aura non seulement embobiné la sphère culturelle, fasciné les consommateurs, mais surtout catéchisé une nouvelle génération », écrit-il. C’est joliment balancé. Selon l’écrivain, le Bordeaux a été « la première victime d’un mouvement promouvant les intentions vertueuses ET la police de ces vertus ». Jean Le Gall est un moraliste hors-pair, millésimé grand cru. Jean-Luc Schilling prolonge le propos de son camarade par une étude détaillée qui a une véritable vocation pédagogique. Il nous fait aimer et découvrir la complexité du, plutôt des Bordeaux, et son immersion dans ce terroir star est une belle odyssée. Il raconte la genèse, la topographie et le contexte économique comme personne en 175 pages.

On le suit comme dans un polar et on comprend ce qu’il écrit. Et l’ouvrage se termine par un entretien avec Jean-Paul Kauffmann qui finit de nous convaincre. Le Bordeaux est l’expression d’un style à la française, hautement respectable et recommandable. « Le goût évolue, mais le patrimoine Bordeaux demeure. […] Un style qui se retranche derrière l’idée de retenue, du sens des proportions, d’absence d’exagération » souligne-t-il. Kauffmann parle même d’un vin « qui a du tact ». Et si la retenue revenait à la mode.


En défense des vins de Bordeaux – Jean-Luc Schilling, Jean Le Gall, Jean-Paul Kauffmann sous la direction d’Isabelle de Cussac – Le cherche midi. 320 pages

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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