Il existe dans Paris un lieu béni des Dieux, préservé de tout ce qui enlaidit le paysage urbain : sanisettes, Mcdo, stations Vélib, arrêts de bus, kiosques de la Française de jeux et autres horreurs attirant la chalandise interlope. Pas un épicier arabe à moins de cinq cent mètres, pas de Franprix ni de Cash-Casher Naouri. Même Hermès, Prada ou Armani ont eu, en dépit de leurs gros moyens, la délicatesse de s’abstenir d’ouvrir ici des succursales alors qu’une clientèle de proximité sensible à leurs produits leur tendait les bras. Ici tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté.
Entre l’Etoile et la Porte Dauphine, une avenue longue de 1,3 km, large de 140 mètres (autant que le Seine à la hauteur du Louvre), conduit doucement le flâneur de l’Arc de Triomphe au bois de Boulogne. Le baron Haussmann, s’étant trompé dans ses calculs visant à percer douze avenues similaires partant de l’Etoile, fut contraint de lui accorder une largeur double de celles de ses sœurs. Depuis, on lui ôta, à la maison, le droit de couper la galette des Rois pourtant réservé au pater familias.
Pour faire oublier cet impair, il fut décidé qu’elle serait rabaissée par une dénomination d’une banalité affligeante, avenue du Bois, alors que les autres artères partant de l’Etoile furent baptisées de noms glorieux de la saga napoléonienne : avenue de la Grande Armée, avenue de Friedland, avenue Hoche…
Mais le peuple, qui ne se laisse pas mener par le bout du nez, fit en sorte que cette Cendrillon des avenues devint celle qui allait attirer vers elle le plus de princes charmants tombés amoureux de sa beauté négligée… En 1929, l’avenue du Bois se vit enfin reconnaître ses mérites : on la rebaptisa du nom du grand vainqueur de la Grande guerre, le généralissime Ferdinand Foch, décédé cette année-là.
Sa réputation franchit bientôt les frontières, les mers et les océans : des sables du désert arabique à la jungle africaine, de Moscou à Shanghaï, elle s’impose comme la seule adresse parisienne possible pour ceux à qui dame Fortune à fait la grâce de reconnaître leurs mérites en les comblant de ses bienfaits.
Quelle artère parisienne illustre mieux cette fameuse « diversité » dont on nous rebat aujourd’hui les oreilles ? Ici, l’ambassadeur d’Israël en France, logé là par son administration, croise un prince royal saoudien en allant promener son chien le dimanche matin, et échange avec lui des salutations cordiales et même quelques considérations météorologiques. Les appartements qui la bordent sont agencés de telle sorte que des Africains notables comme Denis Sassou Nguesso et Théodore Obiang peuvent y loger leur nombreuse et bruyante famille sans gêner les voisins. Le Géorgien cohabite avec le Russe, et l’armateur grec devise avec le champion turc du BTP…
Il fallait bien, qu’un jour, quelque esprit chafouin se mette en tête de détruire cette charmante et discrète harmonie. Saisissant l’occasion des prochaines élections municipales, un obscur cabinet parisien d’architecture et d’urbanisme, Hamonic et Masson, à crû malin de lancer dans l’arène du duel Hidalgo-NKM un projet d’aménagement de l’avenue Foch dont on trouvera le détail ici.
Il s’agit, ni plus ni moins, que de transformer l’avenue Foch, pour moitié en « végétalisant » la partie nord, faisant ainsi entrer le Bois de Boulogne (et les activités nocturnes afférentes) dans Paris, et de convertir la partie sud en zone piétonnière et commerciale pourvue de toutes le commodités modernes : fast foods (hamburgers et gyros), pistes de skateboard, bistrots branchés, station de métro souterraine, cinémas et boites de nuits (ce n’est pas dit comme cela dans le projet, mais les concepteurs du bientôt défunt forum de Halles ne nous avaient pas prévenus, non plus, de ce qui allait advenir de leur merveille urbanistique !).
On sent percer, sous l’architecte, le vengeur social qui veut pourrir la vie des riches plutôt que d’améliorer celle des pauvres ! On ne sera pas étonné de voir, derrière ce projet, la main d’un vieux militant trotskiste, ancien président de l’UNEF des années quatre-vingts, Marc Rozenblat. Il se lança dans la promotion immobilière après avoir sévi, es qualités, dans le business du logement étudiant, croisant au passage Jean-Marie Le Guen, candidat évincé de l’investiture socialiste pour la mairie de Paris, et Dominique Strauss-Kahn, dont les apparatchiks étudiants étanchèrent la soif pendant sa traversée du désert… Anne Hidalgo, prise de court par la diffusion publique de ce plan révolutionnaire, se voit contrainte de lui donner son aval, sauf à passer pour une vendue au grand capital.
Bien entendu, cela ne se fera jamais, et l’avenue Foch restera, pour longtemps encore, la vitrine de l’opulence mondialisée où habitent tous ces gens que l’on aime haïr, parfois à juste titre. Il ne manquerait plus qu’ils se délocalisent !
*Photo : LCHAM/SIPA. 00673908_000033.
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