Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg, Claude Bartolone, mais aussi François Bayrou, les Verts, Ségolène Royal, le FN… et même Simone Veil en son temps : ils ont tous appelé à l’instauration d’une Sixième République. Si chacun y va de ses propres propositions constitutionnelles, un point commun relie tous ces projets : la confiscation des pouvoirs étendus du président de la République, au profit d’une chambre si possible sans majorité claire. C’est devenu le thème politique à la mode.
Comment en est-on arrivé là ? Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande ont-ils été entraînés dans une dérive autocratique à la Poutine ? Le président de la République française est-il devenu un potentat qui nous entraîne dans un bouleversement de la vie nationale ? Sommes-nous guettés par un fascisme rampant ? Ou même un colbertisme débridé ? Certes non. C’est plutôt l’impuissance toujours plus patente de nos gouvernants qui se fait jour. Nos constitutionnalistes en chambre sont pourtant suffisamment fins analystes de notre vie politique pour ne pas percevoir la perte de substance du pouvoir en France. Elle tient en trois renoncements :
Le renoncement à la souveraineté, avant tout. Il va sans dire, mais il vaut toujours mieux le rappeler. Le transfert continu de pans entiers de la souveraineté nationale vers les institutions européennes constitue le fait le plus marquant de la vie politique française depuis plusieurs siècles. Il date de l’instauration du marché unique, poursuivi par la monnaie unique et plus récemment par la soumission de notre budget aux instances communautaires. Que reste-t-il comme marges de manœuvres au président de la République dans ce contexte ? Rien ou presque rien. Quelques timides interventions dans le sociétal, tout au plus (euthanasie, mariage homosexuel, laïcité, etc.). Et encore, la Cour européenne des droits de l’homme veille !…
Le renoncement au dirigisme, ensuite. Il y a encore trente ans, le président avait un pouvoir de nomination et d’intervention sur les plus grandes entreprises nationales (et internationales). Dans l’aéronautique, dans la banque, dans la chimie, dans l’automobile, dans le pétrole et l’énergie… Jusqu’aux « noyaux durs » mis en place par Balladur, le président de la République pouvait orienter la vie économique en s’appuyant sur des groupes puissants qui structuraient en profondeur des secteurs économiques entiers. Là encore, l’injonction faite à l’Etat, au tournant des années 90, de se désengager de la puissance économique prive le président d’un levier d’action essentiel. De Gaulle disait que la politique de la France ne se faisait pas à la Corbeille. Elle se fait pourtant désormais dans les conseils d’administration que président l’élite des directeurs de cabinets ministériels passés au privé, moyennant quelques millions d’euros.
Le renoncement à l’ambition, enfin. Dans la Cinquième République, le président n’est pas seulement un gouvernant, c’est aussi un catalyseur des énergies populaires. Son rôle est de dégager l’horizon, d’ouvrir des perspectives, de redonner une ardeur. Jacques Chirac qui s’avouait impuissant sur la politique intérieure a cantonné son rôle à maintenir l’indépendance de la France. La réintégration de la France dans les organes de commandement de l’Otan, puis l’alignement de notre politique étrangère sur les Européens les plus atlantistes (dans l’affaire ukrainienne) on sonné le glas de la petite musique originale que jouait la France dans le concert des nations. Il n’y a plus donc d’ambition interne, ni d’ambition externe explicites. Juste des obligations qui s’ajoutent aux contraintes, sans éclaircissements à l’horizon. Aucun projet un tant soit peu exaltant n’est possible parce qu’on nous serine qu’aucune alternative n’est possible. C’est le compromis européen ou la Corée du nord. La mondialisation ou le repli sur soi.
La classe politique a donc renoncé à la souveraineté, à diriger l’économie du pays et finalement à toute ambition nationale. Mais le président de la République conserve nominalement de pouvoirs dont il ne se sert plus. Il faut donc les lui retirer définitivement car leur survivance même est un témoignage de son incapacité à en user. Quand le président ne pourra plus dissoudre l’Assemblée Nationale, quand celle-ci sera élue au scrutin proportionnel, quand le président sera révoqué par la chambre (c’est désormais possible avec l’entrée en vigueur de la loi organique qui permet de destituer le président « pour manquement à sa fonction »… !), alors on pourra enfin abandonner toute velléité de gouverner ce pays. S’il en reste encore.
Le pouvoir ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une nouvelle république, mais d’un vrai président. Qui restaure ses pouvoirs au lieu de les abandonner à l’air du temps.
*Photo : wikicommons.
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