À l’occasion du débat sur le projet de loi visant à pénaliser les clients des prostituées, Causeura cru malin de publier un texte intitulé « Touche pas à ma pute ! » et présenté comme le « Manifeste des 343 salauds ». Outre le côté faussement provocateur de son titre, vous avez pris le risque, avec cet appel, de dénaturer de trop nombreux combats dont celui, fondamental, du droit à l’avortement. Prendre comme référence le « Manifeste des 343 salopes » de 1971 revient à entacher la démarche courageuse et lourde de conséquences de femmes qui ont engagé et exposé leur nom, leur figure, leur réputation, parfois leur carrière, pour faire avancer les droits des femmes en France. Cette démarche apparaît d’autant plus maladroite que le droit à l’avortement est aujourd’hui gravement remis en cause en Espagne, et reste inexistant dans plusieurs pays d’Europe.[access capability= »lire_inedits »]
L’important, me direz-vous, c’est le fond. Justement, sur le fond, ce texte n’apporte aucune perspective pratique pour aborder la question de la prostitution : ni grille de lecture, ni position de principe permettant au lecteur de se construire une véritable opinion. D’une part, l’appel laisse de côté les aspects les plus fondamentaux du débat, notamment en matière d’inégalités sociales, de santé publique et d’égalité des genres.
D’autre part, même s’il prend en compte les différences d’orientation sexuelle, les signataires laissent entendre que les clients sont toujours des hommes.
En réutilisant, de façon maladroitement ironique, pour ne pas dire tout simplement cynique, des slogans porteurs des luttes d’émancipation depuis plus de quarante ans, l’appel des « 343 salauds » opère un renversement inacceptable. Quoi que l’on pense de la prostitution, le droit des clients à obtenir des relations tarifées n’est pas un droit fondamental, contrairement à celui des femmes à disposer librement de leurs corps. La fausse équivalence ainsi construite ne permet nullement de définir un positionnement cohérent. Causeur nous semble plutôt avoir fait le choix de la facilité, se contentant d’une position d’opposition sans avoir pris la peine de se livrer à une analyse, totalement absente de ce texte, même en creux.
Cet appel ne contribue en rien à la prise en compte de questions pourtant sérieuses. Car peut-être l’avez-vous oublié, mais au-delà des principes que vous semblez réduire à des blagues, ce sont des individus réels qui sont directement touchés et des droits concrets qui sont menacés.
Le logo de SOS Racisme et son slogan « Touche pas à mon pote ! » visent à défendre des principes universalistes dans les luttes d’émancipation. Alors que Didier François, grand reporter à Europe 1 et inventeur de notre slogan, est toujours en captivité en Syrie aux côtés de trois autres journalistes français, alors que les figures qui œuvrent pour l’égalité partout dans le monde sont la cible d’attaques racistes et sexistes, nous ne pouvons cautionner un détournement qui a pour seul objectif de faire du « buzz » à moindre effort.
Causeur a évidemment le droit de décliner sa ligne éditoriale et de traiter des sujets qui lui siéent. Pas de détourner un slogan, ni de s’approprier un logo qui ne lui appartiennent pas, et qui incarnent des valeurs militantes dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne sont guère à l’honneur dans les pages de votre magazine. C’est votre droit de critiquer SOS Racisme. C’est le nôtre de vous dire :
Touche pas à nos symboles ![/access]
*Photo: Thibault Camus/AP/SIPA. AP21493210_000004.
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