Quand on est député UMP, ces temps-ci, il faut bien trouver un moyen de s’occuper. C’est l’inconvénient: appartenir au parti présidentiel surtout avec un président de la République qui veut toujours en être le chef fait assez vite de vous un « godillot » selon l’expression imagée utilisée dès les majorités absolues de députés UNR puis UDR sous le grand Charles puis sous Georges Pompidou.
Il serait néanmoins inélégant de dire de Valérie Boyer, députée UMP des Bouches-du-Rhône qu’elle est un godillot, voire dans un souci de féminisation, une godillote. Le néologisme est amusant mais ne correspond pas, essentiellement pour des raisons esthétiques, à Valérie Boyer, la belle quarantaine brune et chic, qui outre son mandat national est aussi conseillère municipale de Marseille et secrétaire national de l’UMP aux questions de santé. Non, Valérie Boyer n’a pas le genre godillot mais plutôt escarpin, voire talon aiguilles, ceux qui font les jambes longues, les fesses fermes et la cambrure intéressante.
Députée escarpin donc, Valérie Boyer s’était fait un peu connaître en 2008, ce qui est toujours difficile dans une UMP pléthorique et masculine (la parité, c’est pour les candidats, pas les élus, faut pas rêver) à l’Assemblée nationale par des propositions de loi sur l’anorexie et l’obésité, ces deux faces d’un même grand corps malade et malheureux que les adolescents de nos temps si tranquillement inhumains promènent sous nos yeux comme des remords vivants.
Il y a donc, chez Valérie Boyer, le louable souci de faire de son activité politique une activité sociétale. Par exemple, sur le sujet que nous venons d’évoquer, plutôt que de s’attaquer au pourquoi du comment d’une telle recrudescence de l’obésité et de l’anorexie, elle a préféré s’interroger sur leur dépistage précoce. Mais attaquer frontalement l’industrie agroalimentaire, la junk-food, la disparition des repas en famille remplacés par des grignotages puisque les familles se mettent de plus en plus rarement à table ensemble à cause des rythmes de travail de plus en plus discordants des uns et des autres pendant la semaine et maintenant, même le dimanche qui n’a plus rien de sacré, cela elle n’en a pas parlé. Trop social, sans doute.
Mais je ne doute pas un seul instant de la bonne foi de Valérie Boyer, mère de deux grandes filles. Valérie Boyer aurait aussi bien pu être députée PS puisque justement, elle est sociétale et non sociale. S’attaquer à l’anorexie uniquement sous l’angle de la prévention, ça ne mange pas de pas de pain, si je puis dire, et l’on retrouve effectivement une des marques de fabriques du sociétalisme : gérer la conséquence et non attaquer la cause, ou si vous préférez, soigner le symptôme et non la maladie.
Valérie Boyer propose maintenant une autre loi visant à interdire les photos retouchées, ou tout au moins à obliger à ce que les retouches soient signalées. Cette loi, si elle est votée, vise explicitement les magazines féminins et leur arme absolue, le logiciel Photoshop qui vous transforme Amy Winehouse au sortir d’une boite de nuit avec de la vodka à la place du sang et les cloisons nasales plâtrées de cocaïne, en une radieuse princesse juive à choucroute hyperbolique prête à chanter son sublime « Rehab ». Donc nous verrions désormais les bourrelets présidentiels quand il fait de l’aviron, les cernes sexy de la noctambule dans le vent et les fesses merveilleusement un peu trop callipyges de Jennifer Lopez qui pourtant, quand elle tourne le dos, me fait soudain croire à l’existence de Dieu.
Pour revenir à cette authenticité, Valérie Boyer avance d’excellents arguments : « Ces photos de femmes sublimées, dans les magazines, la publicité, cette éternelle jeunesse, ces cheveux qui brillent à vous faire mal aux yeux, ne correspondent à aucune réalité. Ces corps parfaits n’existent pas, ils sont trafiqués. C’est une énorme usine à frustration, une pression sociale qui aggrave les symptômes d’anorexie ou d’obésité des adolescentes fragiles », déclare-t-elle dans un entretien donné à Ouest France.
D’excellents arguments mais que l’on nous permettra de trouver irrecevables. Faire le lien entre la photo retouchée d’un mannequin et l’anorexie mimétique qui en découlerait chez une adolescente me semble aussi fallacieux ou en tout cas aussi à côté de la plaque que l’idée que certains jeux vidéos ou certains films ultra-violents seraient la cause des passages à l’acte chez certains jeunes. Ce serait tellement rassurant si c’était vrai. Mais, encore une fois ce n’est pas seulement à cause d’un magazine féminin qu’une jeune fille se laisse mourir de faim et ce n’est pas seulement à cause d’une consommation excessive de film gore que cet élève de seconde va poignarder son condisciple.
Cela nous empêcherait de nous poser le problème des familles éclatées et recomposées, de la perspective d’avoir à vivre dans un monde de pure compétition où seule la performance professionnelle sera valorisée, de connaître la précarité, les difficultés toujours plus grandes à se loger, à travailler ou à mener des études.
Ensuite, cette loi, si elle passe, pose un autre problème. Valérie Boyer a-t-elle conscience, avec cette proposition de loi, d’apporter sa pierre de bonne intention au nouvel enfer idéologique qui se profile sous le double signe du néo-puritanisme et de la transparence. Néo-puritanisme ségolono-chiennes de garde parce qu’il s’agit bien entendu d’en finir, au bout du compte, avec la représentation avilissante du corps de la femme dans la publicité, ou même de l’homme dont les torses impeccables nous donnent envie d’acheter l’eau de toilette qu’ils promeuvent, des fois que. On objectera ici que l’avilissement de la femme, on ferait mieux, au hasard, de le combattre au travers du temps partiel imposé et du travail de nuit dans la grande distribution ou la vente par correspondance. Que faire une pub pour de la lingerie sur les abribus sera toujours moins aliénant que de se lever à cinq heures pour aller prendre sa permanence téléphonique au centre d’appels.
Mais le plus grave n’est pas là. Une loi comme celle-ci participe aussi de cette pulsion de la transparence qui gagne toute notre société. On va doucement mais sûrement dans le Nous autres de Zamiatine.
« Je suis comme je suis » serait donc la devise de la non-retouchée. Au culte de la beauté se substituerait le culte du naturel. Or le naturel est le contraire de la civilisation. On ne s’habille plus pour dîner, on « vient comme on est », on met ses pieds sur la table et on braille dans son téléphone portable à la sonnerie régressive de jingle pour émissions enfantines.
On ne séduit plus, non plus. Pourquoi, si les mannequins ont de petits boutons, quelques bourrelets, un rien de cellulite à l’intérieur des cuisses, ferait-elle un effort, elle, la femme libérée, la femme non retouchée ? À la poubelle la trousse de maquillage et les produits de beautés qui sont des insultes à l’écologie.
Le paradoxe étant que nous arrivons, à la fin, à un corps aussi faux que le corps retouché d’un mannequin. La réalité d’une femme n’est pas plus quand on la surprend au réveil que lorsqu’elle sort harnachée et pomponnée pour la grande guerre charmante de la séduction.
Non, le corps est vrai dans un entre-deux et cet entre-deux est ce que nous avons de plus cher : il s’appelle l’intimité.
L’intimité, qui est une résistance puisque même chez Zamiatine, les habitants des appartements de verre où tout le monde voyait tout le monde, avaient quand même le droit de tirer les rideaux un quart d’heure par jour.
Et de toute façon, retouchée ou non, il ne s’agit que d’images. On rappellera donc pour finir la phrase de Guy Debord sur la question : « Les images existantes ne prouvent que les mensonges existants. » Retouchées ou non.
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