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Touche pas à cette pute, c’est mon pote


Touche pas à cette pute, c’est mon pote

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« Touche pas à ma pute ! » Ô le joli slogan ! On achète, allez– le slogan, pas la pute.

« Touche pas à ma pute », déclarez-vous, comme d’autres, sans doute mieux inspirés, disaient « Touche pas à mon pote ! » Votre pute, Messieurs, qui n’est pas votre pote, justement ; parce que les putes, ça s’achète, pas les potes. Encore une lubie de notre État liberticide qui interdit l’achat d’amis?

Touche pas à ma pute, touche pas à mon plaisir, touche pas à cette mauvaise conscience qui voudrait faire croire qu’elle aime ça, ma pute : se vendre. C’est bien ce qu’on lui demande, non ? Donner l’impression qu’elle aime ça.

Vous n’aimez pas la violence, vous n’aimez pas l’exploitation ni la traite des êtres humains ? Laissons vos putes vous répondre.[access capability= »lire_inedits »]

Le quotidien d’une personne en situation de prostitution, c’est la violence, la peur au ventre : « Ils vous regardent comme du bétail en vous examinant les dents, en vous tâtant les fesses », témoigne Fiona. « Certains, sadiques ou frustrés, viennent juste pour humilier les prostitués ; leur faire sentir une infériorité, en tant que prostitués, en tant que gays », nous dit Thomas. « Quand on subit ces violence. On se dit : c’est comme ça, on l’intègre au fond de soi. » Pour Naïma : « Apparemment, le pouvoir pour eux, c’est aussi la possession de la femme. »

Le quotidien d’une personne en situation de prostitution, c’est l’exploitation : « J’ai le sentiment que les clients préfèrent celles qui sont en pleine détresse, ça les excite plus. »

Le quotidien d’une personne en situation de prostitution, c’est le trafic des êtres humains : « Mais là, vous êtes dans une chambre, il n’y a pas de caméras, et il est interdit au patron d’intervenir. Vous êtes seule. De toute façon, il ne dirait rien pour ne pas ternir la réputation de l’établissement ; il n’y a que le business qui compte. Et puis le mec paye, il a le droit de faire ce qu’il veut. C’est l’idée que tout le monde a intégrée dans ce milieu, à commencer par nous. »

Alors, « chacun a le droit de vendre librement ses charmes – et même d’aimer ça » : la belle histoire… Laissons Thomas vous répondre : « Aucun étudiant sain d’esprit ne se prostitue par plaisir. » Les histoires de vie de femmes françaises en situation de prostitution ne racontent pour la plupart que le monde de la rue, des parcours chaotiques depuis l’enfance. Certaines se persuadent qu’elles ne savent faire que « ça », parfois elles en deviennent esclaves : « Ça rapporte plus qu’être caissière. » D’autres sont poussées sur les trottoirs par la précarité, la drogue, une mauvaise rencontre… Cessons de nous laisser aveugler par Belle de jour ! La réalité n’est ni tendre, ni glamour. A., 40 ans, toxicomane et fille de la DDASS, comme sa mère, parle d’un « choix » : en est-ce vraiment un ? Les rares femmes qui mettent en avant ce « choix » sont poussées par des associations militantes. Et que dire des étrangères ? La proposition de loi rappelle que si « seulement 20 % des personnes prostituées dans l’espace public étaient de nationalité étrangère en 1990, elles en représentent aujourd’hui, et depuis les années 2000, près de 90 %. Les pays d’origine sont bien connus (Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine principalement) et démontrent l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution ».

Messieurs, les avez-vous écoutées, vos putes et leurs souffrances ? Êtes-vous encore assez naïfs – ou cyniques –pour croire qu’elles « aiment ça » ?

Vous évoquez des « partenaires » : parlez plutôt de « fournisseurs de corps ». Vous invoquez la « liberté » : triste liberté qui se fonde sur l’aliénation de l’autre. Triste revendication d’une virilité qui ne s’exhibe que pour soi. Triste marchandisation du corps qui ne susciterait ni faille éthique ni détresse psychologique pourvu que ce soit « consentant ». Triste rébellion où la pose artiste et dandy consiste dans la revendication la plus tristement conventionnelle qui soit depuis le début du monde.

Quelles sont cette « littérature » et cette « intimité » dont vous faites si grand cas ? La littérature est fiction quand vous revendiquez le passage à l’acte. L’intimité, c’est le respect, pas le droit de souiller. Quant à votre liberté, elle est symptomatique d’une époque : une « liberté » d’enfant tyran, une « liberté » d’avant la prise de conscience de l’altérité, de cet autre avec qui je suis relié, de son visage qui construit ma personne. Regardez-les en face, ces visages de vos putes !

Alors, rassurez-vous, le législateur ne tient pas à réguler vos fantasmes ni à « s’occuper de vos fesses», simplement vous interdire d’acheter celles des autres. Pour plus d’humanisation, pas de marchandisation de l’humain : c’est tout.

Dans ce contexte, quelle est la pertinence de la proposition de loi de « lutte contre le système prostitutionnel » soutenue par le gouvernement ? Loin de mettre la liberté en péril, la loi ne prévoit qu’une peine de contravention pour les « clients », assortie d’un stage de sensibilisation. Des ONG, en particulier aux États-Unis, ont mis en place des formations s’appuyant sur les témoignages d’ancien(ne)s prostitué(e)s. Résultat assuré… Qui n’est pas sensible à la souffrance d’autrui ?

En les contraignant à vivre caché(e)s et donc moins protégé(e)s, la pénalisation des clients augmenterait le risque pour les prostitué(e)s ? Un argument relayé par des associations militant pour la dépénalisation de la prostitution et du proxénétisme… Aucune recherche sérieuse ne permet de l’étayer. Les études montrent en revanche que les pays ayant adopté la législation la plus sévère ont fait baisser l’emprise des réseaux de proxénétisme. La pénalisation permet surtout une prise de conscience. Non, les personnes en situation de prostitution n’éprouvent pas de plaisir. Non, elles ne sont pas différentes de vos femmes ou de vous-mêmes. Et souhaiteriez-vous un seul instant ce « métier » pour vos propres enfants ?

Il existe une cohérence dans la lutte contre la marchandisation de l’humain, qu’il s’agisse du recours à la prostitution, au trafic d’organes ou aux mères porteuses. Tout est lié. Pour changer les regards, il faut aussi travailler en amont, encourager à l’école de nouvelles propositions d’éducation affective. Enfin, rien ne pourra changer en profondeur sans sevrer notre génération de la pornographie de masse, ce business florissant d’images d’une chair prête à baiser. Exiger des sites pornos un accès payant systématique permettrait de protéger les plus jeunes tout en vous permettant, Messieurs, d’exercer votre liberté d’acheter pour voir, puisque votre portefeuille et votre liberté semblent si intimement liés…[1. Les témoignages proviennent de rencontres vécues et de ce site internet][/access]

*Photo : ERIC BAUDET/JDD/SIPA. 00669559_0000090. 

Novembre 2013 #7

Article extrait du Magazine Causeur



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