La grande actrice italienne Monica Vitti, icône des années Antonioni, est morte à 90 ans hier. Jérôme Leroy lui rend hommage.
Monica Vitti est morte. Enfin, il paraît. J’ai un peu de mal à y croire parce que nos actrices fétiches ont trouvé le secret de l’immortalité, comme la nymphe Calypso. C’est nous qui allons mourir comme Ulysse, pas elles.
Tous les adolescents ont leurs actrices fétiches. Tous. On rappellera que dans les premières lignes des Epées, Nimier montre le jeune Sanders s’oublier sur une photo de Marlène Dietrich. On va dire que pour nous, c’était Sophie Marceau. Et puis un ciné-club de lycée vers 1981, un cycle Antonioni, et Monica Vitti est rentrée définitivement dans notre imaginaire. De manière plus abstraite mais tout aussi sensuelle. La contempler dans un film à quelque chose d’apaisant, comme la mer, même quand il y a des tempêtes. Et Dieu sait que ses films les plus célèbres, « L’Avventura », « La Notte » ou encore « L’Eclipse » sont autant de tempêtes immobiles, intérieures. Je n’exclus pas que sa blondeur, sa façon de porter les fameuses « petites robes noires » qui subliment toutes les femmes, n’ont pas été sans inspirer nos premières amours.
Comme il n’y a pas d’amour mais des preuves d’amour, on a écrit sur elle. Plusieurs poèmes, comme celui-ci, dans Sauf dans les chansons (La Table ronde, 2015). Il parle de Monica Vitti dans « Le Désert Rouge », quand Antonioni fait le pari de la couleur et abandonne le noir et blanc. Pour nous, c’était une réussite. On n’avait jamais vu Monica Vitti aussi belle. C’est dire.
Le désert rouge
Je regarde ce soir une photo
De Monica Vitti dans Le désert rouge
Et c’est toi
Dans le temps
Et je ne peux rien
Contre le temps
Contre toi
Contre Monica Vitti
Contre le désert rouge
Contre
Le mélange d’inquiétude et de sensualité
La posture frileuse rêveuse
Egarée presque
Contre
La bouche entrouverte
Les cheveux blonds un peu en désordre
Les bras croisés
Contre
Le pull en cachemire
A même la peau
Et surtout contre
Ce détail qui m’attendrit entre tous
Qui me rappelle Trouville en 1984
Les manches étirées jusqu’à la paume
Car il fait encore frisquet
Dans la maison que l’on vient de rouvrir
Contre
L’odeur de sel et d’encaustique
Contre la mer tout près
Contre le transat replié dans l’entrée
Tout à l’heure tu iras mieux
Tu te se seras réchauffée
On ira à la plage
Tu liras L’été finit sous les tilleuls de Kléber Haedens
Le vent achèvera de te décoiffer
On dînera aux Vapeurs sans doute
Et je ne peux rien contre
Rien vraiment rien
Contre Monica Vitti dans le désert rouge.
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