Jean-Luc, maintenant que tu as pris congé
Je peux te dire que je t’admirais et que je t’enviais parfois
Nous avions vingt ans à Lausanne
Nous étions des copains de quartier
Nous passions nos étés à la piscine Montchoisi
Tu me filais des contes pour Le Peuple
Je les publiais aussitôt….tu avais déjà trop de talent
Trop d’élégance, trop d’humour, trop de pudeur.
Tu avais aussi une voiture de sport
Tu aimais le jazz
Tu avais touché un héritage qui te permettrait de vivre indépendant à Paris
Tu n’avais aucune contrainte
Tu aimais Laurence Sterne, Queneau et Perec
Et, surtout, les polars américains.
Tu pensais qu’un écrivain ne devait pas tout dire
Tu étais toujours dans l’understatement
Jamais tu ne te fâchais
Jamais tu ne prenais parti
Ton père était psychiatre à Monthey
Aussi secret que toi
Tu n’as appris qu’á cinquante ans que tu étais juif
Alors tu t’es mis à traduire le Deutéronome
Avant tu parlais de tes ex en jouant avec le langage et les sentiments
Je te voyais rarement à Paris
J’ignore pourquoi
La nuit de ta mort, j’ai rêvé de toi
À mon réveil, j’ai décidé qu’il était temps de se retrouver
C’était déjà trop tard
Beno s’en va-t-en guerre, c’était le titre d’un de tes romans.
À Lausanne, tout le monde t’appelait Beno
La guerre est finie pour toi, Beno
Elle le sera bientôt pour moi
On se retrouvera à la piscine Montchoisi, dis !
*Photo : ANDERSEN ULF/SIPA. SIPAUSA30062920_000008.
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