D’où la volée de bois vert que vous passez aux « pessimistes culturels ». Or, il y a quelques raisons d’être pessimiste, non ?
Ce qui me frappe, c’est la façon dont un simple arrêt du progrès est interprété comme un déclin. Comparée à l’extraordinaire progression observée depuis la guerre, la stagnation éducative est un choc, pour les profs et pour tout le monde. Mais le pessimisme culturel est une réaction hystérisée à ce choc. Je n’observe nullement l’ignorance universelle et le prétendu illettrisme que Le Point, comme d’autres, dénonce régulièrement. Il est parfaitement vrai qu’après les gosses des milieux populaires ceux des classes moyennes sont touchés par le chômage et les bas salaires, mais le monde abruti que nous décrivent des dépressifs culturels qui idéalisent le passé, je ne le vois pas !
L’appauvrissement du langage, la chute de l’autorité, le délitement de la transmission – n’existent pas ?
Votre obsession du déclin culturel vous fait oublier l’emballement des inégalités depuis 1997, le fait nouveau que les diplômés ne profitent plus du changement économique, ainsi que le retour du capital dans la vie politique et l’émergence d’une oligarchie qui ne représente pas plus de 1% de la société. Il est vrai que son représentant n’a pas été un élève brillant.
Vous faites une critique acerbe du livre de Max Gallo Fier d’être français. Vous êtes pourtant sensible à l’existence des nations. Croyez-vous encore à la possibilité d’un récit fédérateur ?
Je n’ai pas attendu Gallo pour être fier d’être français. J’ai relancé l’idée de nation en 1998, dans L’Illusion économique. Mais si je crois de plus en plus à sa nécessité, j’espère de moins en moins sa résurgence immédiate. La narcissisation des comportements, l’implosion centripète des individus et des groupes sur eux-mêmes vont tellement loin que le mythe national instrumentalisé par le couple Sarkozy/Guaino n’embraye sur aucune réalité. J’ajouterai que de ce point de vue, le peuple ne vaut pas mieux que l’élite. Et l’Europe ne va pas mieux que la France. C’est le sens du collectif en général qui se dérobe.
En somme, il ne nous reste qu’à assister au naufrage d’une société malade, envoutée par un mauvais génie. Heureusement que vous êtes optimiste.
J’essaie d’être rigoureux. Le problème fondamental de la démocratie, en France et ailleurs, c’est que la classe politique refuse de mettre en question le libre-échange, choix qui mène actuellement à la baisse des revenus, à la montée des inégalités, bref à une baisse du niveau de vie pour le plus grand nombre. Et désormais à l’insuffisance de la demande, à la crise financière et à la récession. Jusqu’à présent, une démocratie de manipulation a animé, de plus en plus difficilement, un pseudo-débat politique. Maintenant, les politiques vont devoir choisir entre des options plus radicales. Parmi les trois choix possibles, une ethnicisation de la démocratie française me paraît assez peu probable. La séquence « appauvrissement des jeunes diplômés – luttes de classes immatures – poussée autoritaire et, ultimement, perversion ou suppression du suffrage universel », est déjà plus vraisemblable. Le parti communiste est mort, mais Marx revient. Bonaparte aussi malheureusement. Enfin, il existe une possibilité sérieuse de sortir par le haut de la course dépressive de la demande et des salaires: cette solution, qui doit être européenne et non pas nationale, c’est le protectionnisme. Mais le temps presse, la crise financière rapproche l’heure du choix. Et celle du jugement.
Le protectionnisme est peut-être une solution pertinente, mais on dirait que pour vous, il est la nouvelle utopie révolutionnaire. L’avenir radieux derrière des frontières ?
C’est tout le contraire. Face à la narcissisation des comportements, l’adoption d’un protectionnisme coopératif, mis en œuvre au niveau d’un collectif supranational, délivré de tout mythe fondateur ethnique ou étatique, montrerait que nous sommes passés à un état supérieur de la conscience humaine et du développement historique.
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