Ne le réduisez pas à ce que vous détestez chez lui. Dans un livre d’Emmanuel Todd, il y en a pour toutes les humeurs : de quoi être exaspéré, intrigué, captivé, épaté et souvent plus. Oui, quand il observe nos banlieues ou les mondes islamiques, il donne l’impression d’être aveugle à une moitié de la réalité. Mais quand il part à la recherche des structures familiales, il donne du sens à la réalité. De plus, on peut être radicalement opposés sur les prémisses et d’accord sur la conclusion. Après la démocratie, voilà longtemps que nous y sommes arrivés. Quant au protectionnisme, ce mot qui déclenche encore la fureur ou l’effroi de quelques-uns de mes amis, il me semble à moi découler du bon sens. Certes, son adoption n’aurait sans doute pas les vertus miraculeuses qu’en espère Todd. Réparer les sociétés exigera un peu plus que des mesures économiques, même sensées. Avec Todd, le débat, contrairement à la sociologie, est un sport de combat. Tant mieux.
Vous avez annoncé la fin de l’Union soviétique, le déclin de l’empire américain, et maintenant, vous proclamez la fin de la démocratie ? Vous vous prenez pour un oracle ? Vous lisez l’avenir dans les courbes de natalité ?
Vous exagérez ! Je peux être brutal dans mes appréciations personnelles, mais sur le fond, le propos de ce livre est beaucoup plus spéculatif que mes précédents. Oui, la fin de la démocratie est une issue possible de la crise que nous traversons, mais il y en a d’autres et je ne me prononce pas sur celle qui l’emportera.
Incohérent, intellectuellement médiocre, agressif, affectivement instable et animé par l’amour de l’argent : il n’est guère de défaut que vous ne prêtiez au président de la République. Ne verseriez-vous pas dans la recherche de boucs émissaires que vous l’accusez de pratiquer ?
Taper sur Nicolas Sarkozy est une activité saine, morale et satisfaisante, mais il ne faut pas s’arrêter là. Il faut bien comprendre qu’il n’a pas été élu en dépit de ses défauts mais grâce à eux. Il m’arrive de me faire plaisir en disant ce que je pense. Mais s’il m’intéresse, comme chercheur, c’est parce qu’il est un concentré des tendances mauvaises qui travaillent la société française.
Nicolas Sarkozy n’a pas seulement été élu pour ses défauts : le verbe – talentueux quoi que vous en pensiez – d’Henri Guaino a eu sa part.
Le problème, c’est que c’est un verbe qui ne renvoie à rien. Ce qui caractérise Sarkozy, c’est son incohérence, sa capacité de dire tout et son contraire et de vampiriser les héros et les valeurs de la gauche. Cette dilution des concepts de droite et de gauche est typique d’une situation où il n’y a plus de vraie représentation démocratique mais où des gens et des groupes s’affrontent dans une quête machiavélienne de pouvoir pur.
Vous dénoncez une dérive ethniciste incarnée selon vous par certains intellectuels comme Alain Finkielkraut. Et les discours de Dieudonné, de Christiane Taubira ou de Tariq Ramadan, ils n’incarnent rien ?
Concernant Finkielkraut, son concept de « pogrom antirépublicain », à la fois absurde et important, entre en résonance avec certains éléments du sarkozisme. Quant aux discours que vous évoquez, en effet, ils ne retiennent pas mon attention parce que la critique du multiculturalisme, je l’ai faite dans Le destin des immigrés, il y a 14 ans. Je m’intéresse à ce qui se passe effectivement, le taux de mariage mixte, le niveau réel de pratique religieuse. Il est vrai qu’on n’a pas d’enquête bien faite depuis 1992. Mais je sais que le taux de mariage mixte est une variable à très forte inertie. Et je sais aussi que quand une bande mêlée, de toutes les couleurs, caillasse la police, c’est que l’assimilation fonctionne, fût-ce sur un mode négatif. Les valeurs égalitaires sont toujours ancrées dans la société.
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