La scène d’ouverture de ce film de 1981 est un double hommage explicite à tout un courant du cinéma d’épouvante. Dans un premier temps, le spectateur comprend qu’une jeune femme est menacée puisqu’un individu masqué prend une arme blanche et la suit dans sa maison. Par l’utilisation de la caméra subjective, Tobe Hooper cite directement Halloween de John Carpenter. Le tueur s’introduit dans la salle de bain où la jeune femme est en train de prendre une douche. Cette fois, par le découpage et la manière de recopier les mêmes plans, le cinéaste nous propose une sorte de remake de la plus célèbre scène de Psychose d’Hitchcock (sans doute la scène la plus citée, plagiée, copiée, parodiée de l’histoire du cinéma).
Mais alors que le couteau s’apprête à pénétrer la chair de la victime, on réalise que la lame est en caoutchouc et que la demoiselle est le cobaye d’une mauvaise blague de son petit frère. Du coup, on songe à ce qu’écrit Emmanuel Levaufre dans récent essai sur Wes Craven et l’évolution du cinéma d’horreur du naturalisme vers une certaine distanciation ironique. Comme Craven, Hooper a marqué à jamais les esprits avec son chef-d’œuvre Massacre à la tronçonneuse qui s’inscrivait, pour le coup, dans une veine naturaliste et une esthétique « documentaire ». Avec The Funhouse (titre original), il livre une œuvre plus ironique et distanciée, jouant constamment sur les codes du film d’horreur (après tout, le « train fantôme » n’est-il pas une métaphore parfaite du spectateur de films d’épouvante qui s’enferme dans le noir pour jouer à avoir peur ?) et sur les références, y compris à Massacre à la tronçonneuse (les crochets utilisés pour la machinerie du train fantôme qui renvoient aux crochets de boucher dudit film).
Fais-moi peur !
L’argument de base du scénario est simple comme bonjour : quatre adolescents décident, pour se donner des frissons, de passer une nuit dans un train fantôme. Pour l’héroïne, cette nuit marque aussi la conjugaison de tous les interdits puisqu’elle pourrait en profiter pour perdre sa virginité. Mais il se trouve que nos héros vont assister à un meurtre commis par le rejeton monstrueux d’un forain. Repérés, ils vont devoir fuir pour échapper à un père bien décidé à protéger sa progéniture…
A la lecture de ce résumé, on pourra penser que Massacres dans le train fantôme n’est qu’un banal slasher comme il en existe tant. Pourtant, ce qui séduit dans le film d’Hooper est justement cette mise à distance du genre et sa manière, pourtant, de « jouer le jeu » et de parvenir à nous effrayer. Outre les citations littérales déjà évoquées, le film convoque de manière plus lointaine, comme un arrière-plan, les Frankenstein de James Whale (par le biais d’un poster, d’un masque que porte le tueur et par les images d’une diffusion télévisée de La Fiancée de Frankenstein…) ou le Freaks de Browning (avec ses forains et les « monstres » qu’on exhibe).
En un sens, et pour reprendre l’argumentaire d’Emmanuel Levaufre, Hooper convoque toute l’histoire du cinéma d’horreur : d’abord les monstres « classiques » du studio Universal, puis toutes les attractions foraines qui peuvent être vues comme les différents visages d’un certain cinéma d’exploitation misant tout sur le choc visuel et la vérité « documentaire » : le « mondo movie » avec l’exhibition d’animaux monstrueux mais réels, le « burlesque » avec les baraques à strip-tease… La question, dès lors, est de savoir ce qui peut effrayer un spectateur contemporain.
La fin de toutes les innocences
Plutôt que de jouer sur la surenchère ou les effets chocs, Hooper opte pour un classicisme élégant (le film est joliment mis en scène et le travail sur la lumière est excellent, rappelant parfois les visions baroques d’un Dario Argento) et pour l’injonction d’un certain trouble qui s’exprime dans les liens familiaux. Dès le départ, le rapport frère/sœur est placé sous le signe d’un certain malaise et d’une ambiguïté que l’on retrouvera au cœur de cette famille de forain qui fait bloc autour du rejeton monstrueux. Ici, Hooper renoue avec la thématique de Massacre à la tronçonneuse et de sa famille dégénérée, envers terrifiant de la famille traditionnelle américaine. Dans Massacres dans le train fantôme, on retrouve cette famille de forains faisant bloc dans l’abjection mais pour l’héroïne, cette aventure est aussi un moyen de s’éloigner de sa propre famille et de passer à l’âge adulte.
Comme le souligne très justement Stéphane du Mesnildot dans un supplément très intéressant, le film d’Hooper peut se voir comme un conte cruel sur la fin de l’enfance et la perte de l’innocence. Pour les personnages du film, certes, mais aussi pour un genre qui ne pourra désormais plus composer sans songer à ce qui a existé avant…
Massacres dans le train fantôme (1981) de Tobe Hooper avec Elizabeth Berridge, Jeanne Austin. Editions Elephant films.
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