Philippe Bilger a vu la Palme d’Or…
Au sujet de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, de son organisation et du choix de la Palme d’or, j’ai envie de reprendre ce que Roger Nimier avait écrit dans Opéra il y a longtemps au sujet de Jean-Louis Barrault : « Surprise hier soir à l’Odéon : Jean-Louis Barrault encore plus mauvais que d’habitude ! »
Le 17 juillet au soir, force est de constater que, en effet, le Festival s’est surpassé : il a été plus mauvais que les années précédentes. Je me demande d’ailleurs s’il n’y a pas une malédiction qui frappe les fêtes corporatistes, quoique internationales, pour les rendre à chaque fois plus insupportables au commun des citoyens français dont beaucoup pourtant aiment le septième art.
En dénonçant par ordre croissant, j’avoue avoir été d’emblée agacé par le couple de présentateurs de l’avant-cérémonie, tous deux très, trop volubiles, remplaçant l’amabilité par l’hyperbole, la jeune femme abusant des « génialissime », des « sublissime » ! Qu’aurait-elle donc dit s’il y avait eu vraiment matière à éloge ? Pourquoi l’animation médiatique, pour ce type de cérémonies et parce qu’on rencontre actrices et acteurs, se condamne-t-elle à l’enflure ?
À lire aussi: Le soutien ubuesque de l’exécutif à Eric Dupond-Moretti face aux magistrats
Mais ce n’était rien par rapport à la suite. Malgré la grâce de Dora Tillier qui a fait tout ce qu’elle a pu pour être une maîtresse de cérémonie à la hauteur – la maîtresse l’a été mais pas la cérémonie ! -, l’annonce du palmarès fut un total fiasco, comme si le président Spike Lee, peut-être singulier mais constamment « à l’ouest », n’avait jamais été informé des modalités de sa mission. Cela faisait beaucoup rire Mélanie Laurent et il n’y avait que Tahar Rahim pour tenter de mettre un peu d’ordre et de cohérence dans ce « foutoir » et cet amateurisme qui donnaient envie d’appeler au secours le maître d’œuvre des Oscars. Tahar Rahim, à la fois, indiquait la marche à suivre, conseillait, traduisait et c’est grâce à lui si Spike Lee s’est normalisé – en dehors des seuls instants où il était complimenté et comprenait alors très bien de quoi il s’agissait.
Une « foire » qui demeurera dans les annales
Mais nous n’avions pas encore touché le fond : apparemment certains des prix, si j’en jugeais par les palmarès médiatiques prévisibles (Le Figaro, Le Parisien, Libération), n’ont pas surpris et même s’il a fallu supporter les propos interminables des lauréats ou de leurs représentants, avec traduction, la salle applaudissait comme il convient, en particulier les prix d’interprétation.
Enfin l’octroi de la Palme d’or. « Titane », film de Julia Ducournau, qui a fait également le scénario et les dialogues. Avec notamment Vincent Lindon dans un rôle inhabituel, c’est peu dire ! J’avais commencé à m’inquiéter en entendant le propos de remerciement de Julia Ducournau. À l’évidence une intellectuelle qui affichait ses partis pris pour l’anormalité, la monstruosité, l’horreur et qui cherchait à nous démontrer qu’en elles il y avait de l’humanité et de l’universel et que son œuvre favorisait « l’inclusion » ! Elle semblait négliger le fait qu’il ne fallait rien moins que du génie pour obtenir une adhésion forte et admirative à partir de telles prémices. Puis j’ai vu le film.
Un désastre
Étrange idée d’abord que de donner la Palme d’or à un film de genre, comme si le seul genre acceptable pour l’art ne devait pas être le genre « universel ». Je peux admettre cependant qu’à proprement parler, tout pourrait être qualifié de film de genre mais les oeuvres qui échappent à cette catégorie naturellement et techniquement restrictive, sont celles qui, par le biais de l’histoire, de la richesse de l’univers, des idées et des sentiments, de la finesse de l’analyse et de la portée, bien au-delà d’elles-mêmes, même sans qu’elles aient la prétention de le vouloir, échappent à leur champ comique, guerrier, musical, policier, fantastique ou mélodramatique. Un film de genre se sauve quand au fond il en sort.
« Titane » est un film de genre d’une extrême médiocrité. Plutôt du grand guignol qui, si les spectateurs n’étaient pas emplis de révérence devant ce que les « sachants » ont décrété comme chef-d’oeuvre, aurait dû tous nous faire éclater de rire.
À lire aussi: Le charme des «Apparences»
Deux séquences totalement contrastées.
La première : une jeune femme porteuse d’une plaque de titane à la suite d’un accident subi quand elle avait 12 ans, devenant meurtrière, poussée apparemment par une haine de la sensualité, des corps, d’une humanité dont on peut penser qu’elle se venge ou la méprise parce qu’elle en a été privée. Du sang mais tellement programmé, une violence mais tellement surjouée que l’un et l’autre font qu’on s’esclaffe. Le ridicule naît d’abord de ce hiatus entre une mise en scène qui se prend au sérieux avec de gros sabots destinés à nous faire frémir et le caractère artificiel, invraisemblable et risible de ce paroxysme tournant sur lui-même.
La seconde : pour échapper à la police, elle occulte sa féminité, devient un garçon, rencontre un commandant de pompiers (Vincent Lindon) dont le fils a disparu et qui dit reconnaître le sien dans cet être ambigu. Fille, garçon, identité trouble, sensualité transgenre, évolutions chorégraphiques du commandant (sans doute a-t-il besoin de se détendre !) et des pompiers, lien entre le faux père et le faux fils avec une confiance qui se crée. La jeune fille est enceinte, le commandant l’accouche et va s’occuper du bébé. Juste avant, on a échappé à l’inévitable tentation entre le faux père et la vraie fille !
Hilarant et grotesque
On ne crée pas forcément de l’empathie en passant, sans l’ombre d’une plausibilité, sur un mode totalement arbitraire, d’une criminelle à un faux fils aimé par un faux père. On sent la réalisatrice désireuse de changer de cap en plaquant de l’humain, du père, du fils, des larmes dans son histoire. C’est plutôt hilarant !
Tout cela atteint le comble du grotesque. L’anormal et l’incongru se cultivent eux-mêmes, aux antipodes de la plus petite parcelle d’authentique humanité. Manifestement Julia Ducournau n’a pas su accomplir le saut entre le bizarre, l’horreur et l’universel. À son film il manque donc l’essentiel. Qu’un jury ait osé magnifier une telle supercherie ridicule et grandiloquente me dépasse. Dans le jury personne n’a donc protesté ? Même pas Tahar Rahim ?
Quant à Vincent Lindon, il est encore plus inaudible que d’habitude. À mon avis, avec son texte minimaliste, ses pectoraux et son corps de pompier dopé aux anabolisants, ses activités mi-professionnelles mi-chorégraphiques, il a honte de se faire entendre.
Il a raison.