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L’été où tout a fondu

Le diable en salopette


L’été où tout a fondu
Photo : Joëlle Losfeld

Jérôme Leroy ne revient pas sur notre météo nationale de la semaine passée mais évoque ici le premier roman de Tiffany Mc Daniel, où il est question de la visite de Satan dans une petite ville de l’Ohio… Il ne fallait pas lui demander de venir.


Ce qu’il y a sans doute de plus surprenant dans L’été où tout a fondu de Tiffany Mc Daniel, c’est une vision du diable qui n’a finalement rien d’américaine. Dans ce premier roman, le diable est un adolescent noir aux yeux bleus, vêtu d’une salopette, qui arrive dans une petite ville de l’Ohio. On n’est donc pour une fois loin de ces filles pré-pubères hystériques de la côte Est qui ont besoin d’un exorcisme ou d’une bonne psychanalyse pour cesser de se tordre sur leur lit en bavant à cause de la frustration sexuelle.

Non, le diable selon Tiffany Mc Daniel arrive parce qu’on l’appelle. En l’occurrence, c’est le père de Field, le narrateur du roman, qui est responsable de sa venue. Autopsy Bliss est un procureur obsédé par le Bien mais malgré tout assez sympathique. Moitié par jeu, moitié par inquiétude métaphysique, il écrit une lettre ouverte dans le journal local : « Cher monsieur le Diable, Messire Satan, Seigneur Lucifer, et toutes les autres croix que vous portez, je vous invite cordialement à Breathead, Ohio. Pays de collines et de meules de foins, de pêcheurs et de rédempteurs. » 

Une canicule jamais vue dans l’Ohio…

Autopsy Bliss  veut le faire venir parce qu’il a des comptes à lui demander, notamment sur le fait que la Justice rendue par les hommes soit aussi imparfaite. Le diable n’est donc pas, d’emblée, considéré comme un de ces démons mal élevés qui prennent possession de votre âme sans demander la permission. Il cherche plutôt à s’occuper du service après-vente auprès des clients mécontents.

Tiffany Mc Daniel rappelle qu’il n’est pas tant l’incarnation du Mal que celle de la Chute (ce n’est pas hasard si chaque chapitre a en exergue un extrait du Paradis perdu de Milton.) Sous sa salopette crasseuse, le jeune Noir a encore les cicatrices de ses ailes disparues. Il est un ancien ange, on a tendance à l’oublier. On signalera au passage l’aisance avec laquelle Tiffany Mc Daniel instille les éléments de fantastique de manière parfaitement naturelle dans une chronique à la fois très prosaïque, très comique et très poétique de ce bled paumé de l’Ohio dans les années 80. Le jeune Noir se fait ainsi surnommer Sal, et ne cache pas qu’il s’agit des deux premières lettres de Satan et de la première de Lucifer. Sa simple arrivée a transformé l’habituelle chaleur estivale en une canicule jamais vue. 

Haines recuites d’une petite ville américaine

Ce qu’il veut avant tout Sal, c’est de la crème glacée et qu’on comprenne bien qu’il n’a pas un rôle enviable : « Les gens croient que l’enfer, ce sont des flammes et des démons. Il y a des feux, c’est vrai, chaque porte brûle. Mais je n’ai allumé aucun de ces feux, même pas celui qui brûle ma propre porte. (…) Je ne suis pas le maître de l’enfer. Je suis tout au plus  sa première et sa plus célèbre victime. »

Tiffany Mc Daniel, à travers le regard du jeune Field, va réussir à mêler trois plans qui donnent à son roman un ton inédit, malgré des ingrédients pourtant connus de la fiction américaine, notamment le bouillon de culture représenté par les haines et les névroses recuites d’une petite ville. D’abord, elle saisit un moment clé de l’histoire américaine récente, l’année 84, celle du reaganisme triomphant et du sida qui explose. Ensuite, elle peint l’agonie, liée cette époque précise, de ces communautés rurales qui gardaient, surtout pour un enfant comme le narrateur, l’allure d’une Atlantide bienheureuse. Et enfin, elle va nous faire progressivement découvrir que le diable n’est jamais que le témoin omniprésent mais impuissant de turpitudes dont nous sommes les seuls responsables. C’est pour cela que nous avons si peur de lui et que nous lui en voulons tant. Pour un rien, s’il apparaissait devant nous, on le crucifierait. Parce que finalement, ce Sal aux yeux bleus, misérable et crasseux, qui est-il donc pour nous renvoyer sans cesse à nos péchés ?

Tiffany McDaniel, finalement, ce serait une Faulkner ironique qui se serait souvenue que Borges voyait dans la théologie une branche de la littérature fantastique.

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