Il est parfois douloureux de subir les élucubrations des arrières latéraux de football à la retraite. Je ne fais référence ici ni à Maxime Bossis, à la discrétion irréprochable (et de toute façon, il avait terminé sa carrière libero – eh oui, il y avait encore des liberos à cette époque) ni à Patrick Battiston, dont les commentaires techniques à la télévision sont toujours pertinents, mais à Lilian Thuram qui s’est cru autorisé à fustiger les propos tenus récemment par les édiles du football français et à réclamer des « sanctions » à leur encontre.
Les propos de l’ancien arrière droit de l’AS Monaco seraient parfaitement recevables s’il n’en avait pas tenus de similaires huit années plus tôt. Mais dans un contexte légèrement différent. En déplacement aérien avec l’équipe de France, Thuram avait alors élégamment fait savoir aux journalistes présents qu’il y avait trop de Blancs parmi le personnel navigant d’Air France (en les désignant du doigt, bien entendu : on a affaire à un seigneur). Il faudrait donc qu’il choisisse une bonne fois pour toute sa position de tir. On ne peut pas être simultanément républicain et adepte de la suprématie raciale des Noirs. Hostile à toute considération ethnique et favorable à un recrutement fondé sur la couleur de peau.[access capability= »lire_inedits »]
On pourrait m’objecter que ce n’est pas exactement la même chose, les Noirs subissant plus l’idéologie raciste que les Blancs. Mais cet argument n’est plus valable dès lors que ce n’est plus le racisme qui domine mais l’idéologie antiraciste, qui perd tout sens dès lors qu’elle est employée de façon unilatérale – « trop de Noirs », c’est raciste, « trop de Blancs », c’est antiraciste.
Fichier ethnique pour les vols VIP d’Air France
La réaction de Jean-Cyril Spinetta à l’esclandre aérien de Thuram fut, de ce point de vue, très significative. Qu’elle soit aux commandes d’entreprises privées ou à la tête d’administrations, l’élite dirigeante n’est ni républicaine, ni royaliste, ni raciste, ni antiraciste, ni communiste, ni fasciste, ni de gauche ni de droite : elle est dans l’air du temps. Songeant à leur carrière jour et nuit (ce qui explique qu’ils dorment peu), ses représentants modulent leurs moindres réactions en fonction de ce qui peut les servir ou les desservir. Quelle a été la réponse de Spinetta aux propos racistes de l’ancien arrière latéral de la Juventus Turin ? Très simple : il s’est exécuté et a mis en place pour les « vols spéciaux » (par exemple, les vols de l’équipe de France de foot) un fichier ethnique comportant, au mépris de la loi, une véritable typologie raciale fondée sur les mentions suivantes : « Africain », « Antillais », « Asiatique », « Eurasien », « Méditerranéen », « Occidental ». Ce délire a heureusement été contrarié par la CFDT Air France, qui a saisi SOS Racisme. Les documents ont disparu mais, dans la réalité, pour ses « vols spéciaux », Air France sélectionne toujours ses équipages en fonction de ces critères – espérons que la compagnie ne sera pas sollicitée pour un congrès de rappeurs ou de skinheads. Il faut comprendre ses dirigeants : quel malheur si le jus de pomme de M. Thuram était servi par un Blanc !
La conclusion, c’est que si la France devait être un jour déchirée par des émeutes ethniques, l’extrême droite n’en serait pas la seule responsable. Ce qui ne manquera pas d’amuser les historiens qui s’intéresseront à la dévastation de ce pays, c’est qu’elles auront été préparées par des personnalités aussi diverses qu’un ancien arrière latéral du FC Barcelone et un patron de compagnie aérienne. Mais qu’on se rassure, les deux continueront à donner des leçons de l’endroit préservé de la planète où ils auront fui. En première classe.[/access]
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