L’été, avant le raz-de marée de la rentrée littéraire, c’est peut-être le moment ou jamais de vagabonder du côté des marges. Aller à la rencontre des écrivains méconnus, des poètes oubliés et qui l’étaient déjà de leur vivant ou, variante plus subtile de l’oubli, de ceux que l’on croit connaître. Car l’histoire littéraire a d’étranges injustices et refuse, dans les manuels officiels, de se laisser déborder par les francs tireurs en se crispant sur quelques références canoniques. Quant à ceux, chez les gens de lettres, qui tiennent le haut du pavé, de qui se souviendra-t-on demain ? Il faut toujours se rappeler que dans les années 30, Gide n’avait pas mille lecteurs quand Pierre Frondaie et son Homme à l’Hispano-Suiza ou Victor Marguerite et sa Garçonne étaient les best-sellers indéboulonnables de leur temps. Chez les poètes, c’est évidemment encore pire. On rappellera que seuls quelques textes de Rimbaud sont parus de son vivant dans des revues confidentielles et qu’il a dû attendre un certain temps avant que l’Université s’aperçoive qu’il avait révolutionné l’imaginaire et influencé notre vision du monde infiniment plus que le délicat et fade Lamartine, par exemple, qui a pourtant ennuyé et ennuie encore des générations de lycéens.
C’est pour cela qu’il faut saluer des livres adventices comme celui de Thomas Vinau, 76 clochards célestes ou presque. Thomas Vinau est lui-même poète et c’est en poète qu’il nous invite à lire les textes ciselés qu’il consacre à d’autres poètes mais aussi à des romanciers, à des acteurs voire à des chanteurs regroupés ici sous le signe d’un arbitraire assumé : tous sont des vagabonds, des promeneurs qui s’égarent, des marginaux qui côtoient parfois la grande truanderie mais tous sont aussi de merveilleux créateurs, chacun dans leur domaine. On trouvera ainsi, assez logiquement, des voyageurs comme Nicolas Bouvier ou Blaise Cendrars mais aussi des bandits de petits et grands chemins qui ont transformé leurs méfaits en littérature comme Auguste Le Breton ou Arthur Cravan, le poète boxeur dadaïste, déserteur de dix sept nations.
C’est toute une population à risque de fous, d’ivrognes, de dépressifs, de drogués qui est regroupée dans une liste toute prête pour les apprentis dictateurs qui voudraient purger leur société : on rencontrerait ainsi dans le même panier à salade le délicat Brautigan à côté du chanteur Daniel Darc et l’acteur Michel Simon en compagnie du poète-manœuvre, le trop méconnu Thierry Metz, suicidé à l’alcool dans les années 90 après la mort accidentelle d’un de ses enfants, sans compter André Laude qu’a bien connu notre ami Roland Jaccard et dont Thomas Vinau nous dit : « Il reçoit son courrier au bar du coin. Il écrit avec ses larmes. Il écrit le ver dans le fruit. Il meurt en 1995 seul et démuni. »
Thomas Vinau se révèle au bout du compte le guide idéal pour vous créer une bibliothèque de la mouise lyrique, de la scoumoune élevée aux rangs des beaux-arts, du traine-savatisme comme humanisme. Chacun pourra s’amuser à trouver des manques , -nous aurions bien vu Jean-Pierre Martinet dans la bande-, mais la subjectivité ici est assumée en souriant, avec élégance et l’auteur nous a promis une seconde livraison.
76 clochards célestes ou presque de Thomas Vinau (Le Castor Astral)
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