Il critique Emmanuel Macron et n’est même pas libéral, pourtant c’est l’économiste à la mode. Thomas Porcher publie un Traité d’économie hérétique qui va à l’encontre du dogme libéral dominant.
Les sciences économiques n’ont de scientifique que le nom. Thomas Porcher, l’économiste « atterré », nous le rappelle dans son « Traité d’économie hérétique » : il n’y a pas de vérité en économie. Par ses démonstrations souvent pertinentes, il s’affaire à démontrer que le discours libéral majoritaire – dont La République En Marche et d’autres nous rabattent les oreilles – n’est, malgré les apparences, pas partagé de tous. Son réquisitoire bien construit démonte une à une les grandes illusions du « prêt-à-penser » libéral et les supposées « vérités économiques ». C’est tout à fait rafraîchissant !
Faire barrage contre Ma… rine Le Pen
Thomas Porcher – qui a été dans l’équipe de Cécile Duflot en 2016 avant de signer en 2017 une tribune commune avec Yanis Varoufakis dans Le Monde pour appeler les gauches Hamon, Jadot et Mélenchon à s’unir dans la course à l’Elysée – est assurément un économiste de gauche, de la « vraie » gauche diraient certains. Mais la pensée économique de l’auteur a beau s’éloigner fortement des dogmes libéraux actuels, l’économiste jouit d’une couverture médiatique monstre. Invité presque partout pour la promotion de son livre, sa supposée « hérésie » reste appréciée par nombre de journalistes. Ceci explique peut-être cela, Thomas Porcher a fini par voter Macron au second tour de la présidentielle : ouf, il n’est donc pas « fasciste » !
1.Pas d’appel à voter (qui suis-je pour le faire?) mais oui je vais voter #Macron #explications #Aderouler https://t.co/bm97SCEa8t
— Thomas Porcher (@PorcherThomas) 26 avril 2017
Hérétique, non. Utopiste ? Assurément. Il reprend quasiment tous les arguments en vogue au sein de la gauche de la gauche qui conteste la mondialisation économique. Tout y est bien listé. Il manque seulement, et c’est à son honneur, les délires de Benoît Hamon sur la robotisation ou sur le revenu universel sauce Piketty. Là où Thomas Porcher est brillant, c’est pour déconstruire méthodiquement nombre d’arguments utilisés par les « puissants » pour garder le troupeau de citoyens dans le droit chemin d’une économie toujours plus libérale.
Le libéralisme ou la peur du vide
Depuis 30 ans, une majorité d’économistes milite pour plus de désengagement de l’Etat et le détricotage des normes ou des acquis sociaux. Vaste supercherie qui n’enrichit que les plus riches pour Thomas Porcher. Supercherie qui a montré son incapacité à sortir les économies européennes de la crise. Pour justifier cette austérité et l’imposer aux populations, deux « épouvantails », nous explique-t-il, sont systématiquement brandis par les classes dominantes : la « pression exercée par la concurrence mondiale » d’une part, et le « poids de la dette » d’autre part, ce « chiffon rouge agité pour faire peur ». Thomas Porcher va jusqu’à pourfendre la théorie du ruissellement chère à Macron, dynamique capitaliste qu’il qualifie de « vision prétendument gagnante-gagnante d’opposition entre classes sociales ». L’économiste est également très bon pour mordre les mollets des gouvernants libéraux qui se font passer pour des défenseurs du climat ou pour déconstruire le « mythe de la réussite individuelle ». Les génies de l’informatique – Steve Jobs – ou de la chanson française – Florent Pagny (!) – seront gentiment égratignés au passage.
Zemmour, sors de ce corps !
Thomas Porcher ne croit pas aux mérites des « mécanismes de marché » vantés par les libéraux, prétendument régulateurs et bénéfiques à la société tout entière. Il plaide, lui, pour une plus grande intervention de l’Etat. Son Traité d’économie hérétique montre en tout cas très bien par quelles étapes nous sommes passés, des Trente Glorieuses (époque « plutôt administrée » par les Etats) au système actuel où l’économie est « une économie de marchés financiers libéralisés ». Il accable la Commission européenne et son rôle majeur dans la dernière crise économique. Il dénonce de façon remarquable la grande finance et le FMI qui ont pris l’ascendant sur le politique à partir des années 1980. « Ce n’est plus la Bourse qui finance l’entreprise, mais bien l’entreprise qui finance la Bourse ». Il revient sur le scandale de la crise de 2007 et démontre que la dette publique des Etats n’est qu’une broutille comparée au scandale de la dette privée des subprimes !
Le libre-échange ? Même lui sera vilipendé : c’est, pour Thomas Porcher, « une théorie économique des pays riches conçue pour dominer les pays pauvres » ! Pour nous, citoyens de pays riches, le libre-échange a aussi ses effets nocifs en sacrifiant notre classe ouvrière. L’Europe ? Elle est sous domination allemande. L’Union européenne, qui pourrait nous protéger des « effets délétères de la mondialisation », est même devenue la « principale courroie de transmission » de ce libre-échange dévastateur. Attention Monsieur Porcher, certains passages font penser à une tribune d’Eric Zemmour ou à un discours de Florian Philippot !
« Penser hors cadre » près des socialistes
Si cette lecture est agréable, car très abordable, (ce qui n’est pas toujours gagné d’avance quand on ouvre un bouquin d’économie), certains aspects sont – et c’est le sens même du livre – discutables. Thomas Porcher peut lasser. Quand il se félicite de « penser hors du cadre », chapitre après chapitre. Quand il fustige en permanence les « experts » qui s’opposent à lui et dont la pensée libérale aurait abouti à « des millions de vies broyées » (on retrouve cette expression plusieurs fois dans le livre), aussi.
Son misérabilisme quand il évoque les moins nantis (il parle de « pauvrophobie » !), son refus de voir dans toute initiative économique individuelle une possibilité d’améliorer la richesse globale d’une nation, son obsession autour du CAC 40 ou du Medef en exaspéreront assurément plus d’un ! Thomas Porcher n’a que 40 ans, mais on a aussi envie de lui rappeler que sous Mitterrand, Jospin ou Hollande, la gauche socialiste qu’il soutient en partie a souvent été au pouvoir lors des trois dernières décennies marquées par la crise économique, avec les forfaitures et renoncements que l’on connait. Sa conclusion offre 10 principes pour se réarmer contre la pensée néolibérale. Mais l’on peut se demander si les idées de Thomas Porcher, qui ne s’encombre pas de chiffres et d’une économétrie qui manquent parfois pour conforter certains points, n’ont pas déjà été balayées par les électeurs lors des derniers scrutins…
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