La dernière fois que l’on a croisé Thomas Morales sur le pavé parisien, on a, comme d’habitude, immédiatement songé à une comédie des années 1970. Il faut dire que Thomas cultive le style des personnages de Sautet, Broca ou Rappeneau : trench, pull marin bleu marine, chemise oxford, désespoir en pochette débordant de la veste en tweed. Plume en main, même élégance discrète, même goût pour les indémodables.
L’allure et le maitien
Thomas, c’est l’allure et le maintien. Des apparences et du fond. L’école du nouveau renégat : écrire en français et, pour ce qui est de notre art hexagonal – celui de vivre n’étant pas le moins considérable – trop bien envisager ce que ce fût…
Nous voilà donc loin des simples petits souteneurs des « zarzélettres », du harcèlement textuel de septembre et janvier, ravis de la crèche nous engageant à vivre ensemble (vous pouvez vous brosser), à ne pas amalgamer (tu parles Charles !) sauf quand il s’agit de certains déchets (leurs bouquins ?), et à sauver la planète. Et avec ça, forcenés pétitionnaires, démocrates, féministes, citoyens du monde, sourcilleux gardiens de la Morale et des chemins balisés…
Mélodie du malheur contemporain
En marge du dégueulis d’automne couleur feuilles mortes, l’ami Thomas n’a pas encore baissé les bras, même si, certains jours où ses « vapeurs angloises » le reprennent, notre homme songe à retourner dans son Berry natal faire commerce de cravates en tricot. Son Patachon dans la mondialisation, c’est la mélodie du bonheur d’un temps que les moins de vingt ans… et du malheur contemporain. Du moins en moins de choses de la vie post-moderne. Derrière toutes ces chroniques, une seule et même question : « Comment a-t-on pu en arriver là ? »
« Assassins, rendez les couleurs », gueule Grandgil aux Thénardier du bistrot de La Traversée de Paris . Le vrai noir et blanc. L’orange bien amère. Des pellicule vagues et nouvelles. Ou de ces couvertures d’improbables polars dégotés dans une brocante à Vierzon, Issoudun ou, plus classe, plus classe tous risques même, Saint-Amant Montrond, où on sut autrefois imprimer.
Choper l’ascenseur social
Mais comme plus rien n’imprime dans cette époque « accablante de laideur » où comme le disait Claude Chabrol, « les pizzas arrivent plus vite que la police » (quand c’est pas elle qui les commande), et « où la parole est calibrée comme une tomate OGM », Thomas a la « douloureuse impression de se faire mettre à chaque fois ».
Erreur camarade : c’est dès le berceau que notre génération se fit enfler. Trop blancs, trop classe moyenne, un peu éduqués, trop marginaux à force de lectures et d’après-midis à glander dans les salles obscures ou à compter fleurette aux petites Dorléac du lycée.
Alors comme ça, Monsieur Morales, vous auriez voulu choper l’ascenseur social en écrivant des livres ? Mais le monte-charge, sa porte est toujours restée ouverte au même étage pour les « fils de » ! Et quelques nouveaux damnés de la terre de la génération Mitterrand l’ont parfois emprunté avant que leurs petits cousins les saccagent. Restait donc, pour nous, la cage, les espérances obligatoirement trompeuses. Touche pas à mon pote et à mon ascenseur : sida mental des trente dernières merdeuses.
Les strings de Sydne Rome
Qu’ils rendent les couleurs, les Thénardier, faut pas y compter. Mais, supplie notre Thomas « Démoralésé », qu’ils nous laissent au moins les strings de Sydne Rome à son apogée, quelques prototypes de cette race de seigneurs incarnée par un Roald Dahl, ou à défaut les clés d’une 911 d’usine pour un petit tour de circuit, avant de retourner à notre vocation : la voie de garage…
Pour sa nouvelle lettre à un jeune Rastignac (morceau de bravoure du livre), on pardonnera à Thomas ses incursions dans l’univers de la bande dessinée (nouveau repère des analphabètes) et quelques confondantes naïvetés : croire à la culture comme fondement de la démocratie ou envisager que de jeunes et douce lectrices de province envoient des mots doux ou leurs petites culottes aux écrivains admirés (lecture trop intensive de Matzneff).
Tous les taxis mauves ont été retenus, mon pauvre vieux Thomas ! Uber for everybody. Uber Alles même ! Direction la gare et le grand train de la mondialisation. Transport du commun !
Quelques librairies trop rares
Pour ceux qui restent toujours à quai (les humeurs vagabondes aux stations, on sait désormais que c’est pour ceux qui ne sont rien), il y a bien encore quelques librairies du côté de Saint-Germain et des rades pas trop tartes du côté de la rue Caulaincourt. Mais pour combien de temps ?
Thomas Morales nous donc propose la sécession douce. En uniforme bleu marine, du Grand Nord, histoire d’éviter le désert des Tartarins XXL du XXIe. Quand il sera conduit à l’échafaud (au rythme où vont les choses, ça risque bien d’arriver dans un futur très proche. Vouloir bourlinguer du cochon du contrebande de nuit dans Paris mènera même un de ces quatre à la peine capitale, on en prend le pari), Thomas serait le genre de type capable, à l’image du marquis de Charost, de marquer la page du livre qu’il est en train de lire et de l’offrir à son bourreau. La couverture ? Tango Table Ronde ? Poche Vermillon ? Monsieur Jadis ? Les Enfants Tristes ? Mieux : On liquide et on s’en va . La place du Mohrt, à droite du conducteur (sauf si on fait dans la conduite anglaise), ça lui va bien au teint à notre Thomas Moraliste.
Et hop, plein pot, pied au plancher, façon McQueen en bout de Hunaudières, ou Stirling Moss dans le virage du Tabac. Avant l’inévitable crash près du port, les patachons coulés par grands fonds.
Un patachon dans la mondialisation, Thomas Morales (Pierre-Guillaume de Roux, 2017)
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