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Thomas Morales, le snob du Salon du livre

On achève bien les auteurs!


Thomas Morales, le snob du Salon du livre
Parc des expositions, Paris, mars 2017. SIPA.

Quelle est la place du livre et des écrivains dans les salons du livre?


Devant témoins, je l’ai affirmé à plusieurs reprises. Je n’y retournerai pas ! Question de principe et de dignité. Je me rengorgeais de cette décision. Je n’étais pas peu fier de cette prise de parole qui me valait l’ironie de mes confrères et la méfiance de mes éditeurs.

« Morales n’est qu’un snob » me rétorquait-on pour me disqualifier. Il a peur de se confronter aux atermoiements des acheteurs et à l’indifférence générale. Moi, le défenseur du barbecue et des foires à la saucisse, des brocantes sauvages et des slows italiens, du topless et d’Aldo Maccione, des Citroën GS « vert pomme » et des Pécasseries en tout genre. J’encaissais cette avanie sans répliquer. Nerveusement, je n’en avais plus la force. Sincèrement, c’est au-dessus de mes moyens psychologiques. Tout me terrifie dans ces réunions censées vanter les vertus du livre et les splendeurs de la littérature dans des salles polyvalentes.

Le livre comme un fruit décati

Les allées vides, les auteurs à touche-touche dans cette fausse camaraderie rappelant les chambrées du service militaire et puis surtout, le regard des inquisiteurs du jour, terriblement déstabilisant et éprouvant pour la santé mentale déjà fragile des auteurs. Vous verriez leurs yeux. Sans pitié. Ils vous jaugent en quelques millisecondes. Leur avis est fait. Ils n’en démordront plus. Derrière votre table, vous rapetissez à mesure qu’ils s’approchent de votre étal. Ils tâtent votre livre comme un fruit décati, lisent la quatrième de couverture avec un désintérêt non feint et le reposent avec une sorte de jubilation intérieure. Ils vous narguent et s’en amusent.

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Même les critiques littéraires les plus rosses de la capitale ont des manières plus chaleureuses d’évoquer vos profondes lacunes à l’écrit. Vous n’en menez pas large. Vous tentez de bafouiller quelques mots plus par orgueil que par conviction pour inverser leur jugement. C’est trop tard ! Ils sont déjà partis chez votre voisin, jouer avec ses nerfs. Sera-t-il plus résistant que vous ? Trouvera-t-il une parade ? Vous épiez ses réactions. Et quand il échoue à délester de quelques euros sa victime, vous lui adressez un sourire amical et un encouragement à persévérer. Se nouent alors des amitiés de salon dont l’échec commercial est un puissant ciment. Des confréries de laissés-pour-compte constituent de puissants réseaux à travers toute la France et participent à la légende noire. Tu te souviens en Normandie ? Deux jours dans le froid et pas une vente à l’arrivée. De ces épopées picaresques qui alimentent la chronique depuis des siècles et l’aigreur des gens du métier. Les auteurs, bonnes poires, habitués aux sarcasmes sur leur supposée inactivité acceptent de servir de défouloir national, les week-ends de printemps, à une population en manque de divertissement.

État du livre et souffrances provinciales

À l’approche de l’été, entre Roland-Garros, le Grand Prix de Monaco et les élections législatives, les manifestations sont légion. Le calendrier déborde de festivités. Sous la pression du milieu et parce que je suis incapable de respecter mes engagements, j’ai craqué. Je me suis rendu dans un salon de province, la peur au ventre et le désespoir en bandoulière. Cette fois-ci, j’y suis allé dans la peau du reporter sachant que mes ventes seraient dérisoires. J’avais accepté et digéré ma défaite avant le début du combat. Eh bien, je ne regrette pas mon déplacement. Il fut instructif sur l’état du livre et des souffrances provinciales. J’ai signé deux exemplaires au forceps, dont un clairement, en pleurnichant. J’ai arraché cette vente aux sentiments. Ce n’est pas très glorieux, je l’avoue.

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Je remercie encore vivement cette retraitée d’avoir déboursé quinze euros pour un livre qu’elle n’ouvrira jamais. Les ruraux sont charitables avec leurs écrivains régionaux. Ce qui m’a frappé, c’est la diversité de notre profession. Je n’écarte pas les sujets récurrents de discorde, l’absence de rémunération des auteurs qui font le déplacement et désormais, les entrées payantes qui posent problème à un public aux abois financièrement. L’économie des salons est précaire comme la bourse des auteurs.

Et pourtant j’y retournerai

À Paris, pris dans nos débats picrocholins, on oublie que le livre recouvre des formes variées, assez réjouissantes, selon moi. Entre les mémoires d’une ancienne miss France, les déboires d’un footballeur blessé, les polars historiques, la poésie champêtre, les guides de jardinage ou les illustrateurs du rayon jeunesse, l’éventail donne le tournis. On pourrait rire de ce bric-à-brac, j’y entrevois, au contraire, des leçons d’humilité. Les égos boursouflés sont remis à leur place. Le marché est mouvant, très instable, aussi volatil que les votes dans les urnes. Telle vedette que l’on croyait intouchable est à la traîne et cet inconnu qui arpente les salons dans tout l’hexagone se révèle un vendeur de la trempe de Jean-Pierre Marielle. Une flambe, une diction, un argumentaire huilé, rôdé, coulant comme un sauvignon bien frais. Irrésistible. J’ai beaucoup appris à son contact.

De l’art florentin d’alpaguer sans brusquer, de parler de son œuvre sans se hausser du col et d’arracher un billet de vingt avec une délicatesse inouïe. Tous, qu’ils soient auto-entrepreneurs ou édités par de grandes maisons, stars du petit écran ou anonymes des préaux, forment les bataillons du livre. Et puis surtout, j’ai vu la détresse de certains visiteurs. Que les euros sont difficiles à gagner de nos jours dans les campagnes, on les dépense donc avec componction. Une jeune femme ne roulant pas sur l’or avouant qu’elle ne lisait qu’un livre par an, son choix avait valeur de symbole. Juste pour se coller à cette réalité-là, j’y retournerai.

Et maintenant, voici venir un long hiver...

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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