Entre confinement et déconfinement, ouverture et fermeture des librairies, le livre a résisté au virus! Thomas Morales dresse le bilan littéraire de l’année passée.
Outre sa valeur refuge, le livre aura eu d’insoupçonnées vertus pacificatrices sur un secteur hautement concurrentiel. D’habitude, ces gens-là se détestent entre eux. Et pourtant, ils auront fait bloc durant toute l’année 2020. La littérature est un sport de combat féroce où chacun tient à ses positions idéologiques, son pas de porte, son catalogue, son comité de lecture, son diffuseur, sa clientèle et sa mise en place.
L’éditeur vise un succès annuel qui assurerait la survie de sa boutique. Les jurys, ces joueurs autorisés de bonneteau, font et défont des carrières au gré du vent et du champagne tiède.
Écosystème précaire
Les critiques pestent contre le niveau général d’écriture depuis la réforme du collège unique. Les libraires en ont assez de porter des cartons, considérant la surproduction comme un fléau national. Et puis, rouage essentiel et dernier échelon de cette pyramide bancale, l’auteur se demande comment il va finir le mois. La caractéristique principale de cet écosystème précaire réside dans sa totale irrationalité. À vrai dire, c’est la dinguerie de ce métier qui amuse, captive, séduit et fait que nous sommes un certain nombre à y avoir succombé. « Irrité par ce monde, et comme échappé de lui, je préfère le monde littéraire un peu démuni qui en est mitoyen, où le hasard, la rencontre privée et la tertulia, réunissant des types atrabilaires et dévergondés, compensent et purifient de la cohabitation avec la conventionnelle et doctorale hypocrisie où s’alimente la pédanterie ambiante » écrivait Ramón Gómez de la Serna (Automoribundia/Quai Voltaire).
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Il y a dans ce milieu et nulle par ailleurs, malgré les concentrations capitalistiques à la manœuvre, une hétérogénéité de situations et de luttes fratricides. Des intérêts que l’on pensait jusqu’à très récemment contradictoires, voire irréconciliables. Comment comparer en effet, le groupe de communication qui achète et vend des maisons sur les marchés mondiaux à l’éditeur qui publie seul, trois livres par an, à la lueur de ses envies, dans son modeste atelier d’artisan ? Comment mettre sur le même plan, l’auteur de best-sellers choyé par les télés et poursuivi par les producteurs de ciné, et l’humble poète penché sur son écritoire qui, pour un vers réussi, à la métronomique ensorceleuse, se passera d’un repas ?
Comment faire cohabiter dans un même lieu clos, l’auteur progressiste, à la pointe des combats victimaires, inlassable défenseur des humiliés de la Terre, adoubé par les forces intellectuelles avec l’auteur factieux, réprouvé des cercles, populiste par essence, oiseau de mauvais augure qui écrit pour dénoncer toutes les compromissions des élites réunies ?
Une nation qui aime la littérature
Malgré leur incompatibilité ontologique, tous partagent le même espace de vente.
Miracle, la librairie est leur chapelle ardente ! Hier, ils étaient tous ennemis, en 2020, ils se sont retrouvés dans le même camp, celui qui réclamait, implorait et espérait l’ouverture des librairies indépendantes. Fin octobre, à la veille du second confinement, j’ai vu un étrange spectacle à la librairie Gibert sur le Boulevard Saint-Michel, à Paris. Des jeunes et des vieux, dans leur immense variété culturelle, de Deleuze à Morand, de Duras à Pound, de Mirbeau à Prévert se ruaient dans les rayons et faisaient provisions de livres, juste par peur de manquer.
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Dans un premier élan, on pouvait trouver cette frénésie un peu ridicule à l’heure d’une grave crise sanitaire, et puis, en y réfléchissant, j’ai fini par m’enorgueillir d’une nation qui cherche dans la lecture, un moyen de s’évader, de se cultiver, de se divertir ou tout simplement de se nourrir de mots. Quitte à s’en abreuver. Quel autre pays dans le monde marque-t-il un tel amour dévot pour la phrase sauvage et les cathédrales de papier ?
Derniers coups de cœur
Comme tous les professionnels du métier, j’ai d’abord pensé égoïstement à la survie de mes propres livres, et puis à celle de mes amis qui venaient de sortir leurs romans à la rentrée. Je pense ici à Jean-Pierre Montal (La nuit du 5-7/ Séguier) ou Yves Charnet (Chutes/ Tarabuste). Je savais leur inquiétude. Rien ne remplacera le toucher des couvertures. Les peaux ne mentent pas. Le livre se moque de la distanciation sociale. On a besoin de le palper, de s’en imprégner, de fureter entre les piles, les sens en alerte, et de le laisser nous choisir.
Car, c’est bien le livre qui nous appelle et nous tend la main, jamais le contraire. Alors, offrir un livre, un bien culturel comme ils disent, est encore le meilleur moyen de dépenser son argent. Je vous donne in extremis mes derniers coups de cœur pour 2020, ils sont issus d’une production raisonnée : Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet (La Nouvelle Librairie éditions), Le Pugilat de William Hazlitt (L’Insomniaque), Poulidor by Laborde de Christian Laborde (Mareuil Éditions) et Le Cadet de l’excellent Philippe Barthelet (PGDR éditions).
Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet – La Nouvelle Librairie éditions – Préface de Marc Laudelout et postface de Jeanne Augier
Le Pugilat de William Hazlitt – L’Insomniaque – Traduit et présenté par Philippe Mortimer
Poulidor by Laborde de Christian Laborde – Mareuil Éditions
Le Cadet de Philippe Barthelet – PGDR éditions
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