Face à Eric Zemmour, le journaliste de France inter s’est surpassé. Comme il semble prêt à tout pour le mettre en difficulté, nous analysons ici les sophismes les plus grossiers concernant l’histoire de France entendus au micro lundi matin.
Lundi 7 février, France Inter, la mort dans l’âme, reçoit Éric Zemmour. La mort dans l’âme, oui, car cette radio ne peut plus ne pas recevoir le « sulfureux polémiste » maintenant qu’il est devenu candidat à la présidentielle. Pendant plus d’une heure, les journalistes de la matinale croient soumettre Zemmour à la question. Mais ils sont décidément trop lisibles, trop prévisibles, et Zemmour tient facilement son cap, sans dévier d’un pouce.
Le plus prévisible d’entre tous les journalistes de France Inter est bien sûr Thomas Legrand, qui est une sorte de synthèse, combinaison parfaite d’idéologie gauchisante et de boboïsme balourd. Assez au fait des dernières modes progressistes et consacrant son temps à n’échapper à aucune, il ne lui reste que peu de temps pour lire, se documenter et préparer ses pourtant courtes interventions matutinales. Les coups qu’il croit fatals ne sont le plus souvent que de grossiers sophismes. Ce matin-là, il se surpasse.
Et l’autorité du savoir, nananère ?
Le journaliste interroge le candidat Zemmour sur l’école : « Vous voulez rétablir l’autorité du savoir et la hiérarchie, la supériorité du prof. sur les élèves. » Zemmour acquiesce. « Oui, mais l’autorité du savoir, vous la mettez vous-même en cause quand vous battez en brèche les consensus scientifiques, les consensus scientifiques historiques notamment ! »
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Legrand met sur le même plan deux choses incomparables, d’un côté la transmission du savoir à des élèves en cours de formation, et, de l’autre côté, la production de ce qu’il appelle des « consensus scientifiques » étayés par l’autorité supposément indiscutable de tel organisme ou telle institution et destinés à l’opinion publique. Zemmour n’a aucun mal à lui rétorquer que, premièrement, cette « autorité » n’a rien à voir avec celle des professeurs à l’école, et que, deuxièmement, les « consensus scientifiques historiques », cela n’existe pas. De toute manière, ajoute-t-il, avant même de penser à un travail historiographique qui ne peut être qu’un travail de chercheurs universitaires, il est nécessaire de rétablir à l’école primaire le « roman national français ».
J’abonde naturellement dans le sens de Zemmour. Michelet l’avait compris le premier : le « roman national » a pour ambition de bâtir une communauté autour d’un récit incarnant l’identité d’un pays. Il permettait aux élèves d’antan de se repérer aisément dans le temps historique en s’appuyant sur des personnages prestigieux, des événements importants et des dates fameuses apprises dans le sens chronologique. De plus, comme le souligne Barbara Lefebvre [1], « le “roman national” transmis par l’histoire scolaire de 1880 jusqu’au début des années 1960 n’a guère embrigadé quand on voit tous les travaux dont l’objet a été de […] réinterroger de façon critique la construction du récit historique de la nation française. » Les historiens qui veulent « dénationaliser » l’histoire de France et qui refusent que soit enseigné son « récit national » à l’école sont souvent les mêmes qu’on retrouve aux côtés de l’extrême-gauche et des mouvements dits décoloniaux ou qui inventent une « histoire mondiale de la France » pour déconstruire l’identité française chère à Braudel et accoucher d’un autre récit plus adapté à l’homme mondialisé et déraciné qu’ils appellent de leurs vœux. Barbara Lefebvre rappelle comment, sous Najat Vallaud-Belkacem, certains « spécialistes » fomentèrent de nouveaux programmes d’histoire chargés de glorifier la France de la diversité ; et comment, sous la pression de l’opinion et de quelques professeurs attentifs, fut heureusement abandonné le projet qui consistait « à qualifier de “modules facultatifs” certains thèmes essentiels comme la chrétienté au Moyen-Âge ou les Lumières, quand l’histoire de l’islam ou des traites négrières étaient des “modules obligatoires” ». Depuis 2015, précise encore Barbara Lefebvre, les programmes d’histoire et de géographie sont malheureusement orientés par des thématiques sous-jacentes : le développement durable pour la géographie ; les migrations dans les deux matières « exclusivement sous l’angle de l’enrichissement économique ou culturel et de la nécessaire vitalité démographique ». Le règne de Louis XIV est ainsi réduit à la portion congrue tandis que le manuel Bordas de 5e promeut dans un chapitre consacré à l’islam une exposition hébergée sur France Tv Éducation intitulée… « Nos ancêtres Sarrasins ». Ce n’est qu’un exemple parmi mille. Pourtant, Thomas Legrand ne croit pas Zemmour lorsque celui-ci affirme que la propagande fait des ravages dans l’Éducation nationale. Et il ne voit toujours pas l’intérêt d’enseigner un récit national qu’il oppose bêtement à la « vérité historique » !
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Le lendemain, sans contradicteur, c’est plus facile
Le candidat à la présidentielle enfonce le clou : l’enseignement du « roman national français » sera obligatoire s’il est élu. Thomas Legrand nous ressert alors une grossière louche sophistique : « Donc, on peut s’écarter de la vérité ? […] Il faut réinterpréter Dreyfus ? » Il est impossible que le journaliste le fasse exprès tellement c’est bête. J’éteins mon poste de radio en partageant avec moi-même une bien peu miséricordieuse pensée sur Thomas Legrand.
Le lendemain, mardi 8 février, l’éditorialiste revient sur l’entretien de la veille et confirme mon sentiment le concernant. Comme il n’y a plus personne pour le contredire, il dit tout et n’importe quoi, sans vergogne. Il reproche en particulier à Zemmour de n’avoir rien cédé sur « la responsabilité de la France dans la rafle du Veld’hiv » et nous ressert un « consensus scientifique » – avec comme point d’orgue le discours de Jacques Chirac en 1995 : « Ce jour-là, la France accomplissait l’irréparable. » – dont on se demande bien où il est allé le chercher. Selon lui, cela ne fait plus question pour personne. Cette affirmation prouve que Thomas Legrand ne lit pas suffisamment et prépare ses papiers en dilettante. Nombre d’historiens ou d’hommes politiques ont avalé de travers en écoutant le discours du président Chirac et beaucoup toussent quand ils entendent deux présidents successifs, François Hollande et Emmanuel Macron, reprendre la doxa chiraquienne en l’augmentant encore d’une charge contre « la France ». Dans son livre, Vel d’hiv 1942, où était la France ? [2], l’historien François Broche décrit l’évolution de l’attitude de Jacques Chirac, girouette politique suivant le sens du vent de l’opinion publique et finissant par estimer que la « faute [était] collective ». François Broche réfute cette interprétation. Il n’est pas le seul : Jean-Pierre Chevènement et Philippe Seguin parlèrent d’une vision biaisée, voire mensongère de l’histoire, et Pierre Nora refusa immédiatement cette utilisation « mémorielle » abusive de l’histoire à seule fin de complaire à certains. Robert Badinter fulmine contre le discours du président Chirac et déclare à l’historien Jacques Semelin en avril 2021 [3] : « Le discours de Chirac est plein d’émotion […]. Mais sur le plan juridique et politique, il ne résiste pas à l’analyse. […] En voulant se démarquer de Mitterrand, Chirac a trahi de Gaulle et les gaullistes. » De son côté, Jean-Noël Jeanneney n’a jamais caché son agacement devant la reprise à l’envi de cette phrase de Jacques Chirac sur « la France [qui] accomplissait l’irréparable », en totale contradiction avec le reste du discours évoquant une « France droite, généreuse, fidèle à ses traditions » qui « n’a jamais été à Vichy » mais « à Londres, incarnée par le général de Gaulle » et « partout où se battaient des Français libres » [4]. Les querelles historiques peuvent naître parfois, en France particulièrement, d’une simple question de style littéraire. Interrogée par Jacques Semelin, Christine Albanel, qui a rédigé le discours de Jacques Chirac et sera plus tard ministre de la Culture, dit : « Tout discours a ses règles d’écriture. » Elle admet qu’il « aurait été plus exact de parler du gouvernement de Vichy ». « Mais, ajoute-t-elle, comme ce mot Vichy revenait souvent dans le texte, j’ai voulu éviter une nouvelle répétition pour une question de style. J’étais cependant bien consciente que le mot “France” pouvait poser problème. » Elle ne croyait pas si bien dire.
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Lire ces livres, ces témoignages, ces analyses, cela demande un peu de temps et de curiosité. Peut-être Thomas Legrand manque-t-il de temps, tout simplement. Il fait alors comme tout le monde, je veux dire comme tous ses confrères aphatiques : il va au plus pressé en évoquant « les heures sombres », la « zemmourisation des esprits », les « forces politiques xénophobes », convaincu que cela suffira pour cacher ses insuffisances et ne s’apercevant pas qu’au contraire cela les fait éclater au grand jour.
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(1) Génération “j’ai le droit” et C’est ça la France…, Barbara Lefebvre, Éditions Albin Michel.
(2) Édité aux éditions Pierre-Guillaume de Roux en 2018.
(3) Une énigme française, pourquoi les trois quarts des juifs en France n’ont pas été déportés, Jacques Semelin et Laurent Larcher, Éditions Albin Michel. Dans ce livre, un chapitre est consacré à “Déjouer le piège de M. Zemmour”. On peut ne pas être entièrement d’accord avec l’analyse faite par l’auteur au sujet du « piège » de Zemmour, cela n’enlève rien à la qualité de ce livre très instructif.
(4) La république a besoin d’histoire 2010-2019, Jean-Noël Jeanneney, CNRS Éditions.