Portrait de l’effrayant metteur en scène des cérémonies des Jeux olympiques 2024 à Paris.
Il est en ce moment le chouchou des médias, de Télérama à France Inter en passant par Le Monde. Il faut dire que le « prodige du théâtre public » Thomas Jolly coche, bien qu’il s’en défende, toutes les cases du culturellement correct. Il croit, dit-il par exemple dans un entretien donné à L’Express, « à une forme de déhiérarchisation des objets culturels » et à « l’inclusivité ». Au demeurant, l’homme n’est pas antipathique. Il est seulement risible. Cet amusant personnage arbore un perpétuel et imperturbable sourire juvénile traduisant une totale insouciance, une véritable incapacité à comprendre ce qu’il est réellement, à savoir un animateur de la grande braderie culturelle en cours. Philippe Muray a décrit en son temps la transformation de la culture et des arts en cette gigantesque et universelle Foire du Trône culturelle aux multiples attractions – ses théâtres de rue participatifs, ses Nuits Blanches stupéfiantes, ses Techno Parades tolérantes, ses théâtres subventionnés à messages progressistes, ses Fêtes de la musique citoyennes, ses musées et ses festivals en pagaille. Thomas Jolly rêve d’un « Festival d’Avignon permanent » – c’est-à-dire, pour le dire comme Muray, d’une incessante mécanique de disparition de ce que le metteur en scène prétend mettre au pinacle, à savoir l’art théâtral.
« Rockeur dégénéré », « solaire » …
En 2014, Chloé Aeberhardt, alors journaliste à Libération, rencontrait l’acteur et metteur en scène. Subjuguée, captivée, envoûtée, elle rapportait une phrase de l’artiste parlant de lui : « Je suis phosphorique ». « Soit, en homéopathie, écrivait la journaliste avec des étoiles plein la tête et l’Encyclopédie des thérapies alternatives sous le coude, l’un des trois profils de base désignant à raison, en ce qui le concerne, les sujets longilignes, sensibles et créatifs. » Elle comparait alors l’artiste aux chétifs vers luisants qui ont « cette faculté tellement géniale de rayonner la nuit », et rappelait que le mentor de Thomas Jolly, Stanislas Nordey, directeur du Théâtre National de Strasbourg, l’avait toujours trouvé « extrêmement solaire ». Qu’avait donc fait ce jeune metteur en scène, 32 ans à l’époque, pour mériter ces éloges incandescents ? Nous sortions du Festival d’Avignon – dirigé à l’époque par Olivier Py, représentant éminent du wokisme culturel – où Thomas Jolly avait dirigé un spectacle marathon de 18 heures tiré de l’œuvre shakespearienne, Henry VI. La critique, unanime, avait apprécié cet « univers qui se joue des repères historiques » (dixit la plaquette de présentation du spectacle) et salué la performance.
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Ainsi, après avoir vu ledit spectacle, le critique théâtral René Solis écrivait dans Libération : « Ni un sommet, ni une révolution esthétique, pas le Ring de Chéreau, ni le Soulier de satin de Vitez, juste tout un jour et toute une nuit de théâtre qui revigorent. » Ça, pour revigorer, ça revigora. 15 actes, 150 personnages ; entre chaque partie, une comédienne s’adressant aux spectateurs : « Non contents d’avoir déjà enduré quatre heures de notre épopée, vous êtes revenus. Pour en reprendre treize !!! C’est gentil » ; Thomas Jolly interprétant lui-même Richard III « en rockeur dégénéré » ; des chevaliers galopant sur des chaises « qui serviront ensuite au bûcher de Jeanne d’Arc, perruque bleue et seins à l’air », s’esbaudit René Solis qui raffola également des « lumières rouges, éclairs aveuglants, lancers de cotillons et giclées électro-rock » et de « l’usage des faisceaux, entre DCA et boîte de nuit ». Le marketing publicitaire s’appliquant de nos jours indifféremment au commerce et à l’art, la direction du théâtre offrit un pin’s aux courageux spectateurs qui restèrent jusqu’au bout du spectacle : « J’ai vu Henry VI en entier. »
Plus c’est long…
Toujours plus loin, toujours plus fort. En 2022, Thomas Jolly montera, au Centre Dramatique National d’Angers, Henry VI + Richard III, c’est-à-dire la tétralogie de Shakespeare en intégralité. La performance durera cette fois 24 heures, avec les mêmes ingrédients que pour celle d’Avignon. Par exemple, une batucada (musique rythmée brésilienne) résonnera lors de la première scène de bataille et sera suivie de la bande sonore du Space Mountain de Disneyland : « Ce mélange d’influences et de références, c’est avant tout une profonde marque de respect du public, à tous les publics de théâtre », affirmera sans rire, sur le site de France Inter, Julien Baldacchino qui appréciera également l’entrée du rebelle John Cade sur une « chanson aux accents punk », l’ambiance « opéra rock macabre » et les facéties de Bruno Bayeux, le comédien tenant le rôle du maire de Londres, entrant en scène en prévenant le public : « Je suis Bruno, je joue le maire, mais je ne suis pas Bruno Le Maire ! » Les spectateurs repartiront là encore avec une preuve de leur assiduité, un pin’s sur lequel il est écrit cette fois : « J’ai vu Henry VI + Richard III en entier. »
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Le relativisme généralisé – qui alimente le wokisme déconstructionniste – ne pouvait pas ne pas atteindre ce que certains appellent encore la culture par commodité et en voulant profiter du prestige d’un mot dont ils détournent le sens à leur guise. Thomas Jolly fait partie de cette génération d’artistes qui ne veulent plus hiérarchiser les œuvres. Benjamin Britten ou les Spice Girls, Mozart ou les Daft Punk, Shakespeare ou Britney Spears, pour lui tout est égal, équivalent, tout se vaut et peut se parer d’adjectifs interchangeables et progressistes : populaire, citoyen, ouvert, égalitaire, inclusif ou festif.
Audacieuses et audacieux
Dans La défaite de la pensée (Gallimard), Alain Finkielkraut soulignait cette (im)posture post-moderne et dévastatrice consistant à mettre sur le même plan l’auteur du Roi Lear et un acteur célèbre, un slogan publicitaire et un poème d’Apollinaire, un grand couturier et Michel-Ange, et, « à condition qu’elle porte la signature d’un grand styliste », une paire de bottes et Shakespeare. Dans ce bouleversement des valeurs, le metteur en scène n’est plus au service de Shakespeare – c’est Shakespeare qui devient le faire-valoir du génial metteur en scène. Dans le cas de certaines œuvres anciennes, le texte littéraire – malencontreusement encombré de références historiques incompréhensibles, de mots désuets, de sentiments surannés – peut être un obstacle à la révélation de ce génie, surtout s’il est décidé de faire entrer la performance théâtrale dans le Livre Guinness des records, rubrique « le spectacle le plus long ». Par-delà le texte, des « giclées électro-rock » sortiront alors le spectateur de sa torpeur ; une quincaillerie pyrotechnique et une mise en scène épileptique le tiendront éveillé. Thomas Jolly excellant apparemment dans ce domaine, il n’est pas étonnant qu’il ait été sollicité pour mettre en scène les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques de 2024 et tenir en haleine les presque deux milliards de téléspectateurs attendus. « J’aime les grands enjeux, les grands défis ! J’ai cette audace-là ! » dit-il hardiment sur France Inter, face à une Léa Salamé sous le charme. Comme ses congénères du théâtre subventionné – David Bobée, directeur du Théâtre national de Lille, membre fondateur du collectif “Décoloniser les arts”, ou Olivier Py, antifasciste de théâtre qui envisagea de délocaliser le festival d’Avignon en cas de victoire du RN aux élections municipales – Thomas Jolly chante l’inclusivité sur tous les tons permis par la novlangue du politiquement correct : il espère que « les autrices et les auteurs » qui l’accompagneront sur ce projet et que « celles et ceux » qui y participeront seront aussi enthousiastes que lui pour « délivrer des choses importantes » – au moins aussi importantes que celles issues de Starmania, la comédie musicale qu’il a relancée et qui est, selon lui, « une œuvre qui s’adresse à nous tous et à nous toutes, parce qu’elle est justement le reflet, au-delà de l’actualité, même si elle est très, très fortement impactée par notre actualité – c’est d’ailleurs aussi le côté visionnaire de l’œuvre − c’est quand même au fond une question qui se pose, de qu’est-ce qu’on fait là, à quoi on sert et qu’est-ce qu’on fait dans ce monde qui ne nous ressemble pas ? » Léa Salamé, impressionnée par cette interrogation existentielle et cette syntaxe acrobatique, ouvre des yeux grands comme ça et ajoute son gros grain de sel à cette conversation quasi-métaphysique : « Le texte (de Starmania) est furieusement moderne et il était très avant-gardiste. Il y a beaucoup de résonance avec aujourd’hui. Comment ne pas voir dans le personnage de Zéro Janvier, le magnat de la presse multimillionnaire qui va devenir président de l’Occident, grâce à un programme ultra-sécuritaire, nationaliste et anti-écologique, la figure de Trump par exemple. » Shakespeare peut aller se rhabiller.
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« Je suis frappé par la médiocrité artistique de cette époque », disait récemment Michel Fau dans ces colonnes1 en pointant du doigt le théâtre subventionné et l’hégémonie culturelle de la gauche. Usant des mêmes discours affectés sur l’égalité, l’anti-élitisme et un « théâtre engagé et inclusif », Thomas Jolly peut diriger indifféremment Shakespeare, Starmania ou les Cérémonies des Jeux Olympiques, et déclarer dans L’Express, en massacrant, en plus du reste, la langue française : « Quand on fait du service public, on sert qui, on sert à quoi, on sert quoi ? Moi, j’essaie de servir à cet endroit-là de la société, c’est-à-dire l’inclusivité, réguler l’égalité parce qu’elle n’est pas là sur beaucoup de sujets. » De ce charabia, nous sommes censés retenir essentiellement les syntagmes service public, inclusivité, égalité – c’est-à-dire les nouveaux mantras de la caste culturelle à l’heure du wokisme, mantras qui sont l’antithèse absolue de ce qu’on appelait justement, du temps où elle se prévalait d’un certain élitisme sans se refuser à quiconque faisait un effort pour l’appréhender, l’admirer et en jouir, la culture.
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- https://www.causeur.fr/michel-fau-un-grand-artiste-nest-ni-de-droite-ni-de-gauche-265092 ↩︎
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