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Thomas Chatterton Williams: autoportrait en noir et blanc

"Autoportrait en noir et blanc / Désapprendre l’idée de race", Grasset, 2021


« Désapprendre l’idée de race », écrit Thomas Chatterton Williams en sous-titre de son essai. Et dès le début, il explique (fort bien) comment est implantée l’idée de race dans les individus. Ainsi, lui qui est métis, né d’un père noir et d’une mère blanche, se voit noir. Du moins aux Etats-Unis, où règne toujours dans les consciences la « one-drop rule » — même si elle n’est plus appliquée légalement : une goutte de sang noir suffit à faire de vous un Noir, comme une goutte de café dans le lait en fait du café au lait.

Mais l’auteur, journaliste au New York Times Magazine, a vécu et vit toujours en France. Notre pays a toujours été considéré comme un Eden anti-racial par les Noirs américains, de Josephine Baker à Chester Himes en passant par Charlie Parker.  Williams est de surcroît marié à une Blanche : le livre commence par la naissance de sa fille, blonde aux yeux bleus et à la peau porcelaine — mais techniquement « noire » s’il faut en croire les préjugés américains, qui perpétuent la ségrégation alors même qu’elle a été abolie. Et en France, a-t-il remarqué dès le début, on ne classifie pas les Blancs et les Noirs de la même manière : non seulement il ne viendrait à l’idée de personne d’exiger un certificat génétique prouvant que vous avez tel degré de négritude dans le sang, mais la perception du Noir et du Blanc est toute différente. D’ailleurs, Williams a été considéré comme « maghrébin » à de multiples reprises. Et sommé de parler arabe…

Neymar: « Je ne suis pas noir, vous savez »

Bien sûr, la division américaine entre Blancs et Noirs existe chez nous — dans la tête des indigénistes et autres militants de l’UNEF qui au nom de la pensée de gauche se sont mis en tête de réhabiliter le racisme.

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Nous ne sommes pas les seuls à avoir une vision non manichéenne des races — nous qui avons aboli le terme. « Au Brésil, explique-t-il, une goutte de sang blanc rend la personne non-noire ». Et de raconter qu’«en 2010, quand un journaliste a demandé à Neymar da Silva Santos Júnior, la superstar du football au teint basané et aux cheveux frisés de père noir et de mère blanche, s’il avait déjà été victime de racisme, il avait eu cette célèbre réponse : « Jamais. Ni sur le terrain ni en dehors. Je ne suis pas noir, vous savez ». »

Le livre raconte comment l’auteur s’est extirpé de cette vision raciale — au gré des études (et manifestement, plus vous avez fait d’études, moins vous êtes enclin à vous ranger dans une case de couleur pré-définie), des rencontres et des voyages. Le racisme témoigne toujours d’une étroitesse de vues, qu’elle soit due à un enfermement dans une crétinerie native, des a-priori hérités des parents, une incapacité à relativiser en comparant des cultures différentes.

Nous sommes aujourd’hui assignés à résidence par les racistes — et ils ne sont pas à l’extrême-droite, sauf survivants cacochymes de la Deuxième Guerre mondiale. Les théories raciales d’Hitler sont aujourd’hui véhiculées par la gauche « intersectionnelle », qui instrumentalise des concepts américains pour tenter d’insérer en France une opposition qui n’est pas dans notre culture.

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Williams a fini par procéder à une analyse de son ADN, qui lui a révélé qu’il était majoritairement « blanc ». La génétique est impitoyable : le National Geographic a publié une étude concernant des dizaines de personnes aux caractéristiques génétiques similaires — jusqu’à en sélectionner six qui avaient exactement « le même héritage racial, à savoir 32% Europe du Nord, 28% Europe du Sud, 21% Afrique subsaharienne et 14% Asie du sud-est / Afrique du nord » et comme l’explique l’auteur de l’étude, « les individus avaient beau paraître identiques sur un diagramme circulaire, ils ne se ressemblaient pas du tout entre eux et s’identifiaient très différemment sur le plan ethnique et racial ». D’où la grande découverte de l’auteur : le concept de race n’est pas figé, mais « fluide ». Il dépend de données qui n’ont rien à voir avec la « race » : coutumes, éducation, culture, contraintes de groupe, assignation à résidence.

Brighelli n’est pas suédois

Une étude généalogique un peu sérieuse ouvre des perspectives abyssales. Je suis à moitié corse, à moitié catalano-provençal. Mais en fait, les ancêtres communs de mes père et mère sont toscans — quasiment du même village. Quant à la souche « corse » (via mon arrière-grand-mère paternelle), elle est composée, en admettant qu’elle remonte assez loin, de tout ce qui est passé en dans l’île : Etrusques, Carthaginois (eux-mêmes Moyen-orientaux), Grecs, Romains, Arabes (installés dans le sud de l’île pendant près de deux siècles, et pirates turco-mauresques qui cinq siècles durant vinrent de temps en temps déposer des messages génétiques), Pisans, Génois, Français de toutes origines, et dernièrement touristes de nationalités diverses. Et je me prétendrais « blanc » ? Pourquoi pas scandinave — les Vikings ont bien dû faire relâche dans une île qui fournissait les plus beaux mâts de navire de Méditerranée…

Il faut être taré comme le sont les militants indigénistes, les étudiants « éveillés » (ou « woke », comme on dit en franglais) et les sociologues pour se revendiquer Noir, Maghrébin (ô mon ami « algérien », tu veux que je te raconte quels peuples sont venus violer tes grands-mères depuis que des étrangers se sont mêlés aux Berbères originels ? Tu veux parier que tu as du sang vandale ou turc ?) ou « Breton », comme dit l’autre… Oui, la « race » est un concept fluide — si fluide qu’il nous glisse entre les doigts. Et ma foi, c’est très bien comme ça.

Thomas Chatterton Williams, Autoportrait en noir et blanc / Désapprendre l’idée de race, Grasset, 2021.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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