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Déradicaliser les djihadistes, vaste programme!


Déradicaliser les djihadistes, vaste programme!
Image: Luca Biada.
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Image: Luca Biada.

de chaque côté de la Manche, on repense la stratégie de la lutte contre le terrorisme, on édicte une nouvelle loi et surtout on « déradicalise » avec verve et passion. Voilà que l’Elysée annonce la création de la « task force » voulue par Emmanuel Macron, et dont on salue l’avènement. Seulement on aimerait savoir de quelle manière ce nouveau gadget anti-djihadiste serait susceptible de débusquer un individu isolé, inconnu des services de renseignements et au profil quelconque, à l’instar de l’assaillant du Louvre ou de l’agresseur du policier sur le parvis de Notre-Dame ? Theresa May, quant à elle, promet de renforcer « Channel », le programme de prévention et de déradicalisation des individus « à risque », lancé par le gouvernement britannique en 2012 et qui, depuis lors, a pris en charge plus de 4 000 dossiers individuels.

Un mystère : pourquoi on se radicalise

Pour mesurer l’efficacité du dispositif, il suffit de rappeler l’exemple d’un garçonnet de quatre ans qui a failli y être inclus après avoir éveillé les soupçons de ses enseignants, lesquels étaient convaincus qu’il avait dessiné son père en train de construire une bombe alors qu’il s’agissait d’un dessin représentant son père en train de découper un concombre. Surtout, aucun des programmes mis en œuvre jusqu’à présent ne permet d’expliquer pourquoi certains individus se radicalisent et d’autre pas. Sayeeda Warsi, première musulmane au Parlement britannique et ancienne vice-présidente du Parti conservateur, a grandi dans la même rue et fréquenté la même école de Dewsbury dans le Yorkshire, que Mohammad Sidique Khan, un des auteurs des attentats de 2005. Avant de dépenser les deniers publics en financement de moult organismes censés transformer les radicaux islamistes en bons citoyens, il serait autrement plus utile d’essayer de comprendre ce qu’il est raisonnable d’attendre de ce genre d’initiatives.

Pas de groupe social-type

Dans les années 30, Erich Fromm a tenté une toute première élaboration des notions de « personnalité autoritaire » et de « caractère autoritaire », tablant sur les spécificités dudit caractère telles que l’avarice, la discipline, le goût de l’ordre et la fascination pour les pouvoirs forts. L’enquête qu’il a dirigée, Travailleurs et employés à l’aube du IIIe Reich, mettait en outre en exergue une correspondance étroite entre la structure psychique, l’appartenance à une classe sociale et le choix politique des individus. D’où la conclusion : seule la classe ouvrière qui aurait entretenu, selon le psychanalyste, des rapports sociaux fondés sur la solidarité et aurait pratiqué une forme non répressive de sexualité, avait un potentiel d’émancipation, contrairement à la bourgeoise encombrée de préjugés. C’est dire la profondeur des désillusions face aux événements de 1933. Horkheimer a tenté de rectifier le tir en présumant, avec justesse, qu’il ne peut être question de repérer un groupe social plus propice à l’émancipation qu’un autre de par sa constitution même. Il n’y aurait pas une certaine catégorie de population objectivement en retard par rapport au mouvement progressif de l’histoire auquel on croyait à l’époque. Une observation qu’il serait bon de retenir, tant il est tentant d’oublier que les terroristes qui ont sévi en Europe ou aux Etats-Unis étaient, dans nombre de cas, instruits, voire hautement qualifiés, et loin d’appartenir à une classe sociale défavorisée.

L’universelle fascination pour l’autorité

Attention donc à ne pas jeter Freud avec l’eau du bain. Ses travaux ont permis de comprendre que la fascination pour l’autorité constitue un phénomène universel parce qu’enraciné dans l’éducation elle-même. Les périodes anxiogènes ou critiques réactiveraient tout au plus l’état de dépendance et d’obéissance qui caractérise la petite enfance. Certes, expliquer les attentats par un grand détour psy semble de prime abord exagéré, sinon indécent. Soyons clair, parce que même si cela nous soulage, ce n’est pas en traitant les djihadistes d’abrutis ou de sauvages, que nous parviendrons à les éliminer. Voilà en quoi la lecture du Petit manuel de contre-radicalisations de Thomas Bouvatier pourrait nous aider à mourir moins idiot, ce qui serait déjà une belle chose par les temps qui courent.

La déradicalisation ? Une escroquerie

Il y a un trait formidable chez Bouvatier. C’est que malgré son jeune âge et une pratique relativement récente de la psychanalyse, il ne croit pas à la toute-puissance de la méthode. La déradicalisation ? Une escroquerie intellectuelle, voir une escroquerie tout court. « L’esprit humain n’est pas une chaussette qu’on retourne, qu’on lave et qu’on remet bien propre à sa place. », assène-t-il d’emblée. De surcroît, la radicalisation étant intimement liée au modèle d’éducation et aux rapports entre enfant et parents, la déradicalisation supposerait qu’on traite des familles entières, ce qu’aucun programme ne prévoit. Passant outre des précisions sur le nourrisson, la « mère primaire » et « le tiers séparateurs », notions auxquelles est dédié un chapitre à part, retenons simplement le rôle décisif joué par un parent fusionnel : moins un parent se montre enclin à l’autonomisation de son enfant, l’en empêchant par la violence ou par la séduction, plus l’enfant aura tendance à rechercher des relations fusionnelles une fois arrivé à l’âge adulte : « Le mot radical vient de radix, la racine. Par définition, la radicalisation offre à ses membres de nouvelles racines, une nouvelle famille, mythifiée cette fois, aimante, reconnaissante, prometteuse, parfaitement soudée, protectrice, glorieuse. ». Les djihadistes constitueraient ainsi un groupe parmi d’autres de fusionnels- travailleurs, consommateurs, amoureux ou sexuels. Mais, parce qu’en comparaison avec une femme qui achète dix paires de chaussures en un mois, un islamiste s’avère autrement plus dangereux, nous avons intérêt à comprendre son fonctionnement et son mode de pensée. Comprendre ne signifie nullement excuser ou compatir, ce que Hannah Arendt notait déjà en marge du procès Eichmann.

Les avantages de l’extrémisme

Tout d’abord, et c’est ce que Bouvatier explique fort bien, indépendamment des renoncements forcés, des devoirs et des sacrifices à consentir, y compris celui de la vie, il y a des avantages psychiques incontestables à appartenir à un groupe extrémiste quel qu’il soit : « Rien ne remplace l’intelligence collective, la puissance du contact visuel, des paroles échangés en face à face, le partage des rites, la vie en communauté, l’identification au chef et l’émulation. Quitte à agir seul, ensuite. ». On mesure dès lors la difficulté à « récupérer » un individu, à qui la société atomisée qui est la nôtre n’aura rien à offrir en échange de son affranchissement d’un groupe radical. Rien de moins certain, en tous cas, que de compter sur l’attractivité de la position, chère à notre Président, qui exalte l’individualisme et promet à tout un chacun de retrouver la confiance en soi triomphalement exhibée par les créateurs de start-up. En plus, du fait que la radicalisation « permet à l’obsession de s’exprimer positivement », un jeune en voie de devenir kamikaze, ne saura que rassurer ses parents : « la famille observe souvent que son enfant radicalisé se sent plus cadré, plus calme, car sa haine ne part plus dans tous les sens, elle est canalisée vers un objectif. ». En somme, les communautés fusionnelles autorisent et exploitent les pathologies, que la modernité condamne et réprime.

Il est facile de comprendre un radicalisé

L’omniprésence de ces groupes paraît donc d’autant plus troublante, car elle questionne justement la modernité elle-même, comprise comme « l’émancipation des individus de l’absolutisme », et signale la persistance du modèle tribal. Par ailleurs, en quoi consisterait une émancipation totale ? Quelle place laisserait-elle au sentiment d’appartenance à une société, à un peuple, à une nation ? Paradoxalement, il n’est pas si difficile de comprendre un radicalisé, qui renonce à toute marque d’identité individuelle, en se soumettant volontairement à la seule loi divine. Il s’agit d’un véritable choix et non pas d’une condition imposée : « L’existence n’est plus subie, on ne la doit plus à ses parents biologiques, elle est le fruit de sa propre décision. Elle est aussi une promesse. Là où la loi des hommes nie leur désir de gloire, la Loi de Dieu la leur promet. » Où chercher une compensation équivalente dans la panoplie des destins pragmatiques et circonscrits auxquels nous pouvons aspirer ?

Une rhétorique victimaire

Pourtant, bien qu’il soit naïf de songer au succès de la déradicalisation, il n’est pas absurde de tenter de contrecarrer la propagande islamiste, notamment au sein d’une école, d’une entreprise ou d’une prison, là où des acteurs sociaux formés auraient la possibilité de démontrer l’absurdité de ses arguments. D’où l’utilité de comprendre la rhétorique, essentiellement victimaire, des extrémistes. L’auteur en donne un exemple édifiant : « Vous dites qu’on vous agresse, que l’islam est toujours victime d’un complot judéo-croisé qui l’agresse sur plusieurs fronts, mais de quel islam parlez-vous ? Sunnite ou chiite ? Sunnite, très bien. Les chiites sont vos ennemis. Mais soufis ou non ? Pas soufis, dites-vous, car ce sont de faux musulmans qui iront en enfer. Très bien, mais de laquelle des quatre écoles du sunnisme vous réclamez-vous ?… », et ainsi de suite, jusqu’à la conclusion évidente : « Donc quand vous dites « nous », vous ne parlez que d’un sixième de l’oumma officielle. Et la plupart des musulmans dont vous dites qu’ils sont sans cesse attaqués méritent en fait, dans votre esprit, de disparaître. ». Certes, cela ne guérira pas chaque âme perdue dans la quête militarisée d’une éternité radieuse. Mais croire au miracle d’une nouvelle mesure anti-terroriste, une nouvelle loi édictée à l’encontre de ceux qui n’en ont jamais respecté aucune, revient à avouer notre propre sensibilité à la pensée magique. Raison pour laquelle, comme le suggère Thomas Bouvatier, il ferait bon de nous voir nous-même en adultes de la République, et non plus en ses enfants.

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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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