Les ombres de Marge Finaly, le dernier roman de Thierry Dancourt, a tout pour agacer un lecteur aussi instable que moi. Il manque de percussion, de rythme et d’emphase. Des phrases mollassonnes se succèdent sur plus de deux cents pages, une histoire sans aspérité se met péniblement en place et pourtant, le lecteur n’abandonne jamais ce texte monocorde, obsédant, crépusculaire et automnal.
Il y a un mystère Dancourt. J’aime les écrivains flamboyants, les pétarades lexicales, les mots qui dansent et la gloriole sans laquelle une œuvre littéraire me tombe des mains. J’insiste sur la gloriole, une écriture bravache qui flirte parfois avec le mauvais goût et qui se rattrape au dernier moment pour arracher le lecteur de sa torpeur. J’aime les coups de force, les empoignades, le frisson que procure notre belle langue française quand elle retrouve son essence originelle. C’est-à-dire sa puissance aristocratique et sa verve populaire. Les deux versants de notre identité nationale.
L’humilité de Dancourt, à vrai dire, je la trouve suspecte. Cette économie de mots, ses tâtonnements de chat timide, ses impressions fugaces, ses manières de pucelle me semblent le signe d’une immaturité qui colle parfaitement à notre société « moderne » où la violence du verbe est, sans cesse, refoulée. Cela voudrait-il dire que ce roman ne m’a pas plu ?
C’est là que l’homme est paradoxal. Chaque page avalée, je pestais contre cette atonie générale, contre cette préciosité narrative faite de banalité et d’écoulement du temps. Mais, à aucun moment, je n’ai quitté mes yeux du livre. Dancourt m’avait hypnotisé et charmé. Dans mon cas, il faut avouer que je suis un récidiviste car son premier roman, Hôtel de Lausanne, m’avait laissé le même goût en bouche et la même ambivalence.
A sa sortie, on avait parlé d’un style modianesque dans la manière de vaporiser une ambiance. La phrase de Modiano est plus précise, plus pure génétiquement que celle de Dancourt cependant, il existe chez ces deux écrivains le même flottement des arrière-saisons, la même nostalgie enivrante. Je ne résiste pas aux romans « vintage », aux voitures anciennes, aux actrices mortes et à l’élégance surannée de nos pères. Capturé dans un monde de souvenirs sans importance, je me suis laissé emporter par cette prose. J’étais quelque part, dans un territoire flou entre les rues du XVIème arrondissement et une propriété des Yvelines, à une époque indistincte, entre la fin des années 60 et le début des années 70, au milieu de personnages tout aussi évanescents.
Dans ce fleuve d’apparence tranquille, Dancourt instille une atmosphère étouffante très réussie. Tout en pestant jusqu’au bout devant ce manque d’audace stylistique, j’en étais pas moins séduit par cette œuvre vraiment originale. Car du style, elle en a assurément. Et puis, un roman qui fait revivre la Renault Prairie ne peut qu’émouvoir.
Les ombres de Marge Finally, Thierry Dancourt (La Table Ronde)
*Photo : osecours
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