La Commission européenne a rapidement désapprouvé les menaces à peine voilées que Thierry Breton a adressées à Elon Musk sur X, alors que la campagne présidentielle américaine bat son plein. En jeu, non seulement les relations entre l’Union européenne et les Etats-Unis, mais aussi la liberté d’expression.
Thierry Breton, le commissaire européen au numérique, ne cache pas ses ambitions. Il a très envie de prendre la place d’Ursula Van der Leyen. Aveuglé par son objectif, il n’a pas pesé son influence réelle et a essayé de s’imposer au niveau international en entamant une partie de bras de fer avec les Américains. Dans son viseur, Elon Musk, le charismatique patron de Tesla et X. Le commissaire européen est ressorti de l’échange public qui a eu lieu sur X, isolé et les fesses écarlates. Visiblement, si l’Europe rêve de mettre en œuvre une politique d’extraterritorialité équivalente à celle des Etats-Unis, elle a encore quelques progrès à faire et les premiers pas de Thierry Breton dans l’exercice ont tourné à la déconfiture.
En effet, le psychodrame qui s’est joué autour de l’application du Digital Service Act ou DSA, la loi européenne visant à contrôler les réseaux et les contenus diffusés, montre les limites du rêve technocratique d’imposer sa vision du monde en faisant d’une interprétation partielle et partiale, une vérité générale et absolue.
Thierry Breton accusé d’ingérence dans la campagne électorale américaine
C’est ainsi que Thierry Breton, tout à sa détestation d’Elon Musk et de Donald Trump, a réussi à créer un incident diplomatique entre l’Europe et les Etats-Unis. Apprenant qu’Elon Musk avait décidé de diffuser un entretien avec le candidat républicain à la présidence des Etats-Unis sur X, le commissaire européen l’a interpellé et menacé publiquement sur les réseaux sociaux. La réponse ne s’est pas fait attendre. Le contraste entre les deux modes d’expression est frappant. Alors que le commissaire européen est tout en circonlocutions ampoulées et autres contorsions verbales, le tout aboutissant à des menaces réelles camouflées sous des phrases telles que : « vous devez veiller à ce que toutes les mesures d’atténuation proportionnées et efficaces soient mises en place en ce qui concerne l’amplification de contenus préjudiciables en rapport avec des évènements pertinents », l’Américain lui répond simplement « Fuck » par le biais d’un extrait du film Tonnerre sous les Tropiques. La réponse gagne en clarté ce qu’elle perd en courtoisie, mais parle aussi du bras de fer que peut provoquer la mise en place de la modération des réseaux sociaux quand elle est utilisée comme outil de censure.
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Hélas pour l’irascible Français, le collège des commissaires l’a désavoué. Ursula Van der Leyen a officiellement déploré que la lettre de Thierry Breton ait été envoyée sans son consentement. Il faut dire que le commissaire européen au Marché intérieur a pour le moins manqué de discernement et de sens politique dans cette affaire. Il a ainsi donné l’impression que la Commission européenne s’immisçait dans la campagne présidentielle des Etats-Unis. Voilà pourquoi celle-ci a immédiatement pris ses distances en critiquant à la fois le choix du moment, comme la formulation du courrier. Et elle a eu le nez creux car si la réponse d’Elon Musk aux accusations et aux menaces de Thierry Breton était désinvolte, la lettre adressée par le Congrès américain au commissaire européen au Marché intérieur et publiée sur X est, elle, cinglante. Elle intime à Thierry Breton de cesser « d’interférer avec le processus démocratique américain ». Une accusation lourde de sens et de conséquence et qui peut annoncer un bras de fer violent en matière d’extraterritorialité entre l’Union européenne et l’Etat américain. Or, à partir en guerre, mieux vaut s’assurer d’avoir les moyens de ses menaces, d’assumer une politique de puissance et de se doter de la volonté politique pour l’appliquer. Sur ce point l’Etat américain s’est souvent montré plus performant que l’outil technocratique européen.
Un Digital Act Service propice au retour de la censure
Il n’en reste pas moins que le contenu du courrier de Thierry Breton n’est pas à balayer d’un revers de main, pas plus que les exemples cités dans son courrier ou dans les analyses des juristes au sujet du DSA (Digital Services Act). Mais si certains objectifs sont parfaitement louables, d’autres exemples font craindre qu’au nom des bons sentiments, ce soit à une reprise en main idéologique aussi brutale que liberticide que nous soyons confrontés.
Le discours de l’Union européenne pour promouvoir le DSA s’appuie sur la nécessité de lutter contre le terrorisme, la pédopornographie, le trafic d’enfants, l’appel au meurtre… des objectifs tout à fait légitimes que personne ne conteste. Ce n’est pas là que le bât blesse.
Le réseau Tik Tok a été suspendu en Nouvelle Calédonie durant les émeutes, car il diffusait des informations incitant à la violence et au meurtre. Pour le suspendre, nul besoin de la réglementation européenne, il a suffi à la France de s’appuyer sur les lois anti-terroristes en vigueur dans le pays et personne n’a hurlé à la censure. Sanctionner un appel au meurtre ne pose pas de question et ne saurait être assimilé à un acte illégitime. Mais que fait-on par exemple face à la question des émeutes en Angleterre? Croit-on vraiment que leur ampleur est liée à la fausse nouvelle diffusée sur X concernant l’identité de l’agresseur ? N’est-ce-pas une façon pour un pouvoir de s’exonérer de ses responsabilités en trouvant un bouc émissaire facile, alors que l’origine des émeutes est bien plus complexe et remet en cause l’idéologie multiculturaliste en vigueur au Royaume plus si uni.
Des réseaux sociaux contrôlés au nom de la lutte contre les fake news, pendant que la dérive militante des médias est oubliée ?
Par ailleurs les plateformes ne produisent pas de contenus, elles le diffusent, alors quid des fausses nouvelles diffusées par des journaux ou par l’AFP et relayées sur les réseaux ? Quand Le Monde fait passer Yahya Sinwar dans une infographie pour un personnage modéré et respectable, c’est une opinion ou une deep fake news à censurer ? Quand la propagande du Hamas est relayée dans les journaux et que les journalistes condamnent le bombardement d’une école ou d’un hôpital à Gaza en omettant le fait que le lieu abrite aussi un QG du Hamas ou l’entrée d’un tunnel, les réseaux sociaux ont-ils le droit/le devoir de supprimer cette publication ? Pourquoi contrôler des plateformes dont tout le monde connait les défauts, alors que les fausses informations et les allégations militantes présentées comme des faits ne sont pas contrôlés dans les médias officiels ? Quand une personne comme Rima Hassan, députée européenne, ment en racontant que les israéliens utilisent des chiens pour violer les prisonniers palestiniens, curieusement personne n’a pensé à brandir le DSA contre la plateforme, ni à sanctionner Rima Hassan ou à mettre LFI face à ses responsabilités.
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Comme d’habitude, l’enfer technocratique est pavé de bonnes intentions morales. C’est souvent le cas avec des structures plus administratives que démocratiques, comme l’Union européenne. Les choses sont toujours plus compliquées quand elles confinent au délit d’opinion ou quand les critères auxquels la sanction possible est adossée sont flous. Prenons par exemple une notion aussi subjective et mal définie que la « discrimination ». Aujourd’hui cette notion tente d’être utilisée pour fermer la bouche à tous ceux qui expliquent que l’on ne peut pas changer son sexe biologique et qu’un homme ne peut pas vraiment devenir femme ou l’inverse. Il peut juste tendre à en avoir l’apparence. Cette vérité biologique pourrait être assimilé à de la transphobie selon la DSA et donc être interdite sur les réseaux.
Distinguer la peau de la chemise
Dans Le Monde, Francis Donnat, un avocat, a donné une interview sur la mise en place du DSA. Il explique qu’il faut trouver un équilibre entre la liberté d’expression et une vision raisonnée « respectueuse des droits d’autrui qui limiterait la diffusion de certains propos de nature à blesser un grand nombre d’utilisateurs ». Le problème c’est que la notion de blessure n’a rien d’objectif ni d’évaluable. Par ailleurs la référence au « grand nombre d’utilisateurs » lie la capacité de censure au nombre. Il n’y a plus de travail sur la vérité et l’objectivité d’un propos. Si celui-ci est vu comme vexatoire par un groupe constitué, il entraîne de fait une censure visant à éviter le conflit. C’est le politiquement correct élevé au rang de loi.
Ainsi cette réglementation serait un magnifique cheval de Troie pour censurer la critique des religions. Car ce qu’évoque cet avocat, est un chemin pertinent pour rétablir le blasphème au nom du respect des sentiments d’autrui. Or nul n’a besoin d’une réglementation aussi dangereuse car dans aucun pays d’Europe la liberté d’expression n’est absolue. Il y a toujours des limites et ceux qui nous ont précédés ont réfléchi à ces questions avec bien plus de profondeur que nos juristes actuels, plus pressés de témoigner de leur vertu que de leur subtilité.
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Ces régulations sont démocratiques et passent avant tout par les tribunaux et l’usage du contradictoire, elles ne font pas appel à l’arbitraire d’un propriétaire privé ou d’un pouvoir politico-administratif. Le droit, lui, limite la liberté d’expression, en distinguant la peau de la chemise, le danger physique véritable de la susceptibilité exacerbée. Autrement dit, le droit de critiquer toutes les opinions, toutes les religions, toutes les œuvres intellectuelles, de mettre métaphoriquement le doigt dans le fondement de tous les personnages mythiques, légendaires ou historiques qui vous viennent à l’esprit, est protégé. Il se trouve que dans l’espace public, la sensibilité peut être blessée, cela s’appelle la vie en société, mais la parole de l’autre ne doit vous mettre en danger. La limite c’est donc l’appel à la violence ou au meurtre. Je peux détester les religions, je n’ai en revanche pas le droit d’appeler à la persécution d’une personne existante à raison de sa religion. Pour ce qui concerne le mensonge ou l’insulte, il y a l’outil de la diffamation et de l’insulte publique. Bien sûr cela nécessite l’intervention d’un tribunal et ne repose pas sur une autocensure sur pression étatique. Or avec le DSA, c’est le retour de la censure lié au pouvoir privé (les choix du propriétaire du réseau social) et aux injonctions étatiques, le pire de ce que l’on peut faire en matière de déni démocratique.
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