La fameuse cérémonie des Golden Globes qui a vu se dérouler une pantalonnade assez ridicule témoigne des dérives actuelles du féminisme qu’en son temps, Élisabeth Badinter, dans son ouvrage Fausse route avait qualifié de « féminisme victimaire ». Il est devenu guerrier avec la guerre des sexes déclenchée par l’affaire Weinstein. Il vise à installer au premier plan un féminisme androphobe assumé et qui ne recule pas devant l’utilisation de la pensée magique. Le « patriarcat » est présenté comme une malédiction universelle, qui structure et organise toutes les sociétés humaines. L’heure n’est plus à la revendication d’une place égalitaire dans la société moderne, mais à une forme d’émancipation millénariste pour libérer non seulement les femmes mais, au-delà de l’espèce humaine, l’ensemble du règne vivant, de l’emprise du mâle humain.
Il ne sera pas question de contester ici l’existence d’évolutions anthropologiques qui ont amené les femmes, depuis la révolution néolithique, à une situation seconde dans nombre d’organisations sociales. Situations d’ailleurs souvent très hétérogènes et très liées à des facteurs historiques et religieux. Mais on relèvera que, du point de vue du statut de la femme, nos sociétés occidentales ne sont pas les plus mal loties. Ce qui n’empêche pas l’expression de savoureuses contradictions comme celles qui font cohabiter avec la même furie, une exigence revendicative extrémiste et une complaisance surprenante dès qu’il s’agit d’inégalités liées à l’islam. Il y a aussi le caractère bizarre de l’expression d’une volonté de pouvoir social et politique pour les femmes que l’on présente pourtant comme des êtres fragiles, soumis, incapables de se défendre, voire dépourvus de libre arbitre. Raisons pour lesquelles on demande protection à l’État et à sa police.
Les femmes, nous disent ces extrémistes, sont victimes « depuis la nuit des temps » d’un véritable complot visant à les maintenir sous le joug. Et pour cela on utilise de plus en plus des arguments ou des théories complètement irrationnelles qui peuvent parfois se rattacher à l’obscurantisme le plus trivial.
On en relèvera trois.
Le patriarcat du steak
Tout d’abord celle qui n’hésite pas à jeter par-dessus bord la théorie de l’évolution et à récupérer pour son compte celle de Trofim Lyssenko, le généticien de Staline. On rappellera que l’apport inestimable de Charles Darwin a été de poser que le transformisme des formes de vie au cours des âges reposait sur des mutations aléatoires survenant lors de la reproduction. Ces mutations pouvant produire des modifications avantageuses pour les porteurs et favorisant ainsi leur survie et leur propre reproduction. Plus de 150 ans de recherche et de découvertes ont confirmé et renforcé ce qui est bien plus qu’une théorie. On rappellera que Darwin ne fut pas le premier à constater le transformisme mais que, au contraire de son prédécesseur français Lamarck, il a constaté qu’il n’y avait pas d’hérédité des caractères acquis pendant la vie. Tout se passe par l’intermédiaire du gène et de façon aléatoire.
Eh bien, nous venons d’apprendre que Darwin et ses successeurs avaient tout faux et que si les femmes sont plus petites que les hommes dans notre espèce, comme chez 90 % des mammifères, ce n’est pas dû aux mécanismes de l’évolution, mais au fait que « depuis la nuit des temps » les hommes se sont accaparé la bonne bouffe, ne laissant que des rogatons à leurs conjointes. Par conséquent, ainsi affamées les femmes deviennent toutes maigres et toutes petites, et mettent au monde des garçons costauds et des filles toutes malingres. Ce qui devrait être un triste canular a reçu l’approbation de l’université au travers d’une soutenance de thèse dont le jury était présidé par Françoise Héritier, récemment disparue, applaudissant ces calembredaines. On invitera à la lecture de quelques uns des délires et à l’une des réponses circonstanciées publiées par des scientifiques atterrés.
L’écriture inclusive
Il y a ensuite la fameuse écriture inclusive. Le principe en est simple, la langue française qui au contraire de beaucoup d’autres n’a pas de genre neutre, utilise alternativement le genre masculin ou le genre féminin pour l’exprimer. Et c’est ainsi qu’une sentinelle peut être un homme. Ah oui, mais non, vous dit-on, la langue française est affreusement patriarcale et sexiste puisque, lorsqu’on est en présence de plusieurs mots de genres différents, les accords s’effectuent sur le masculin. Mais cette convention de grammaire qui n’exprime qu’une commodité vous est présentée comme une agression atroce visant à l’infériorisation de la femme. On va alors essayer de vous imposer un graphisme grotesque, illisible et incompréhensible. Et en tout cas dont la lecture à voix haute est absolument impossible, alors que c’est quand même un des objectifs de l’écriture. Bon courage au.à le.la lecteur.rice confronté.e à cet exercice.
Or, cette volonté de changer la syntaxe repose sur l’idée absurde que c’est l’écriture qui module la pensée et non le contraire. Le masculin utilisé comme genre neutre plus souvent que le féminin imposerait donc une pensée qui ferait de la femme un être inférieur. On va déjà se demander quel est le statut de la femme dans les pays où la langue possède le genre neutre. Hum, en général ce n’est pas terrible… Et puis on va s’interroger sur la façon utilisée par l’espèce humaine pour penser pendant les 80 000 ans qui ont suivi la mutation du fameux gène du langage permettant à l’homme une maîtrise de la communication verbale avec ses semblables. Parce qu’on rappellera que l’écriture n’a été inventée qu’il y a, à peu près 3000 ans, à Sumer. Certes, on avait bien fait récemment quelques tentatives en changeant des mots, mais sans atteindre de brillants résultats. La chômeuse devenue sans emploi n’a toujours pas de boulot. La femme de ménage d’origine africaine devenue technicienne de surface manie toujours le balai dans les bureaux, l’hôtesse de caisse est toujours caissière, même si l’invention du scan a rendu son travail un peu moins harassant. On raconte aussi que Kim Jong-un, soucieux des risques de famine en Corée du Nord, souhaitait interdire le mot « manger » dans sa langue, comme ça, personne n’aurait eu faim…
De Noam Chomsky à Steven Pinker, les spécialistes de la linguistique cognitive s’arrachent les cheveux, Claude Hagège, immense savant français, dit avec mesure et courtoisie ce qu’il faut en penser.
Évidemment ! (À lire) : Claude Hagège : « Ce n’est pas la langue qui est sexiste, mais les comportements sociaux » — via @lemondefr https://t.co/OXMIGSHwZR
— Mme Rêve (@chrisducq1) 28 décembre 2017
L’amnésie traumatique ou le danger des faux souvenirs
Il y a, enfin, le délire de la théorie de l’amnésie traumatique. Qui prétend que la survenance d’un traumatisme peut affecter la mémoire de l’événement qui ressurgira ainsi parfois des dizaines d’années plus tard. Un certain nombre d’études ont été menées grâce aux progrès considérables des sciences cognitives dotées aujourd’hui des outils comme l’IRM. Aucun scientifique ne peut prendre ces thèses au sérieux. Et ce d’autant plus que la question était particulièrement sensible aux États-Unis, qui ont connu il y a près de 30 ans maintenant ce que l’on a appelé « la guerre des souvenirs ». Un certain nombre de pratiques sectaires ont permis de populariser cette théorie en France, et à des gourous sans scrupule de gagner de l’argent. La pratique des souvenirs induits, qui consiste à convaincre que les problèmes que l’on rencontre dans sa vie sont dus à un traumatisme, en général un viol dont on ne se souvient pas, a provoqué un nombre très important de tragédies dans des familles. Nous en avons eu un exemple récent avec l’épisode ou l’animatrice de télévision Flavie Flament a prétendu s’être brusquement souvenue d’avoir été violée par le photographe David Hamilton. Celui-ci âgé de 83 ans n’ayant pas supporté le lynchage médiatique dont il a alors été victime s’est suicidé. Ce drame terrible où l’honneur d’un homme a été jeté aux chiens sur la simple accusation d’une personne la faisant reposer sur une théorie non scientifique, n’a pas beaucoup ému Laurence Rossignol alors ministre qui lui a confié une mission d’étude sur la prescription en matière d’infractions sexuelles ! Cette soumission à la société du spectacle ayant pour but de mettre à bas des principes fondamentaux qui gouvernent la procédure pénale, comme celui de la prescription, l’infraction sexuelle devenant imprescriptible à l’égal de la Shoah.
On peut considérer que les deux premières dérives analysées sont inoffensives. C’est une erreur, le triomphe de l’ignorance et de la pensée magique ne peut déboucher que sur de graves mécomptes. Mais surtout, en ce qui concerne le mensonge des souvenirs retrouvés, l’activisme de militants sectaires, le relais inconséquent des médias et la complaisance ignorante des politiques pour ces thèses folles présentent des risques considérables pour nos libertés. Elizabeth Loftus, psychologue mondialement connue, nous a prévenus : « Si les Français doivent traverser le même épisode tragique que les Américains lors de la guerre des souvenirs, je les plains sincèrement ! ».
Essayons d’éviter d’être à plaindre.
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