La « théorie du genre », selon laquelle le masculin et le féminin sont des constructions sociales tenterait d’entrer dans nos manuels scolaires. Dernier épisode : un amendement rejeté par l’Assemblée nationale qui faisait référence à l’égalité de genre. A-t-on vraiment raison de craindre cette « théorie du genre » ?
Disons-le tout net : la théorie du genre n’existe pas. Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, l’affirme avec autorité. Et Libération de malmener copieusement le ministre de l’éducation Vincent Peillon pour avoir parlé de « théories du genre », accréditant par là l’existence d’un « yéti », selon le journal. Peillon est excusable : d’autres personnalités politiques de gauche (Martine Martinel, Marie-George Buffet, Patrick Bloche) évoquaient ce même yéti il y a encore quelques mois. Il y a donc bien quelque chose, mais les termes de « théorie du genre » sont connotés. Quid des gender studies alors ? Les « études sur le genre » consistent à analyser le genre en tant que construction sociale. Voilà une voie a priori prometteuse, appuyée sur la stricte rationalité scientifique.
À la source du mystérieux concept de genre, on trouve l’explorateur Oan Oakley, sociologue et écrivain féministe. Elle fit la première, en 1972, la distinction entre le sexe avec lequel on nait et le genre que l’on acquiert[1. Sex, Gender and Society. London : Temple Smith. Reprinted with new Introduction, London: Gower.]. Le genre est cette convention qui fait qu’en Occident au XXe siècle on identifiera comme « femme » une personne qui porte une robe. Mais le genre est mouvant : un écossais qui porte un kilt n’est pas une femme ! Or, ces conventions ne sont pas anodines. L’Histoire, par la prégnance du patriarcat, suggère que le genre est une invention des hommes occidentaux pour asservir les femmes. L’ethnologie permet d’aller plus loin, puisque non seulement la séparation des taches et des rôles est inventée par la société, mais la réduction du nombre de genres à deux (homme et femme) est aussi sujette à caution. Certains peuples comme les Hijras du sous-continent indien ou les Muxe de l’Oaxaca (Mexique) admettent un « troisième genre », constitué d’eunuques, qui ont un rôle et un genre à part. Pure construction sociale, le genre peut être modelé à l’envie. Cela éclaire les amendements de la députée féministe Julie Sommaruga qui préfère le terme de « genre » à celui de « sexe ».
Paradoxalement, en séparant le genre du sexe, on redonne de la vigueur au second. Le risque est grand de voir émerger une notion de « sexe naturel » qui pourrait fonder de bon droit le genre. Mais le cours tumultueux du relativisme du genre gomme les caractéristiques du sexe. Car enfin, l’union des sexes, mâle et femelle, n’est-elle pas elle-même un schéma construit ? C’est tout à fait clair pour Andrea Dworkin, qui l’assimile à un instrument d’asservissement des femmes par les hommes. « Le coït demeure un moyen ou le moyen d’inférioriser physiologiquement une femme », dit-elle. L’accouplement d’un homme et d’une femme lui-même serait une structure répétée, imposée par la société, pour asservir les femmes. On comprend mieux dès lors le grand intérêt que portent les artisans des études sur le genre aux revendications des homosexuels : ils sont en avance sur leur temps, déjà délivrés des vieilles structures sociales.
Il reste que pour donner naissance à un enfant, il faut un homme et une femme, et c’est toujours la femme qui porte l’enfant. Voilà bien une inégalité naturelle fondamentale ! Mais l’étude du genre est comme une rivière qui amène, si l’on en suit le cours, à des conclusions de plus en plus exotiques. Ainsi une autre féministe, Christine Delphy, remet en cause le shéma de la procréation hétérosexuelle « [les gens] ont des difficultés à ne pas voir comme une « évidence naturelle » la différence des rôles procréatifs ». Dans la pensée delphynienne, la notion de « mère biologique » est une construction sociale. « Il est évident, en effet, qu’expulser un fœtus de son corps ne fait pas d’une femme une « mère » , continue-t-elle. Le lien biologique n’a pas de rapport avec la filiation. La difficulté qu’une mère pourrait ressentir à abandonner son enfant vient seulement de son éducation « Le problème, c’est qu’on sentimentalise, de façon excessive, des processus physiologiques » conclut avec cohérence Delphy. Inutile donc d’invoquer la biologie pour justifier le rapport maternel d’une mère à son enfant. « Derrière le masque de la biologie c’est la société qui s’exprime, en ventriloque. ». Limpide !
Puisque chaque concept nous glisse sous les doigts dès que l’on tente de le saisir, que le genre et la procréation hétérosexuelle apparaissent comme de pures constructions sociales, que faire des différences anatomiques entre hommes et femmes ?
Une célèbre féministe a trouvé une solution miraculeuse à ce problème : ces différences anatomiques n’existent pas. Envers et contre toute évidence, malgré l’existence d’un pénis ou d’un vagin, Judith Butler répond dans son essai Trouble dans le genre (1990) que certains cas cliniques démontrent le contraire. Tel hermaphrodite ou tel eunuque par exemple[2. Elle s’est quelque peu autocritiquée trois ans plus tard dans un essai Ces corps qui comptent, où elle admet sous des ratiocinations alambiquée la matérialité des corps.].
Pas de doute, nous sommes bien en face d’une idéologie qui veut à tout prix gommer l’identité sexuelle. Elle éclaire le sens des amendements visant à placer le terme de « genre » dans les textes de loi. Libre à chacun de l’appeler « théorie du genre », « relativisme du genre » ou « yéti ».
*Photo : lewishamdreamer.
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