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Théorie du genre: le pas de clerc du pape François?


Théorie du genre: le pas de clerc du pape François?
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Image: pixabay

Les papes devraient se méfier des «petites phrases» livrées, comme ça, aux journalistes, dans les avions qui les ramènent de voyages à l’étranger. Surtout à l’ère de twitter et des réseaux sociaux. On se souvient du tollé mondial provoqué, en mars 2009, par les propos de Benoît XVI de retour d’Afrique, expliquant à propos du Sida : «on ne peut le résoudre en distribuant des préservatifs. Au contraire, ils augmentent le problème.»[1. Quarante-huit heures plus tard, le Vatican donnait une autre version, plus nuancée, des propos du pape.]. Patatras, voilà que le pape François tombe dans le même piège. Interpelé le 1e octobre par une mère de famille, dans une église de Tbilissi sur la théorie du genre, il avait répondu y voir «un grand ennemi du mariage.» Dans l‘avion du retour, pressé par les journalistes de faire l’exégèse de ses propos, il pense éclairer son auditoire en citant l’exemple d’un père de famille français rapportant qu’on enseignait la théorie du genre à son jeune garçon, dans un livre scolaire. Et voilà l’hexagone en émoi et la ministre de l’éducation en donneuse de… leçon ! C’est le moins !

Dénoncer des inégalités hommes-femmes injustifiées

Je me garderai bien d’entrer dans la controverse qui, depuis, agite les réseaux sociaux. Je n’ai aucune compétence pour trancher le fait de savoir si théorie du genre il y a ou s’il faut plutôt parler d’études de genre. En revanche, il m’importe de tenter d’y voir plus clair dans ce dialogue de sourds où la société et l’Eglise semblent avoir un message à faire passer l’une à l’autre… sans y parvenir ! Que la notion de genre ne prétende pas se substituer à celle d’identité sexuée, voilà qui est à peu près généralement admis aujourd’hui. Il n’en a pas toujours été ainsi[2. Dans ses premiers écrits Judith Butler plaidait ouvertement cette thèse.].  On naît bien, sauf à de très rares exceptions, homme ou femme, même si pour certains se pose la question de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Ce qui peut les conduire à se ressentir et se vivre autrement.

Pour l’essentiel, les études de genre se sont attachées à déconstruire les stéréotypes traditionnellement liés, dans nos sociétés, aux sexes masculin et féminin. Qu’ils s’agisse des préférences en matière de jeux pour les enfants, des études pour les jeunes ou des professions pour les adultes. Mais plus profondément elles entendent dénoncer les inégalités hommes-femmes fondées précisément, et souvent sans réelle raison, sur la différence des sexes.

L’Eglise concernée par la question des femmes dans l’institution

C’est là une critique qui n’épargne pas l’Eglise catholique où les ministères ordonnés (évêque, prêtre, diacre…) sont réservés aux seuls hommes alors même que de plus en plus de femmes y exercent des responsabilités importantes, souvent au terme de formations théologiques diplômantes. On connaît les arguments doctrinaux opposés. Il n’y a pas lieu d’en débattre ici, même s’ils sont loin d’être reçus aujourd’hui de manière unanime, y compris parmi les théologiens. Pour autant la question de la place des femmes dans l’Eglise et de leur accès à certains ministères ordonnés, est désormais posée de l’intérieur même de l’institution.

Dans un ouvrage récent[3. Lucetta Scaraffia, Du dernier rang. Les femmes et l’Eglise. Ed. Salvator.] l’historienne italienne Lucetta Scaraffia, éditorialiste à l’Osservatore romano, quotidien officiel du Vatican, dénonce l’état de sujétion dans lequel les femmes sont tenues. Faisant un retour sur l’Histoire de l’Eglise, elle souligne qu’autour de l’an 1000, Hildegarde de Bingen prêchait dans la cathédrale de Cologne sans que personne s’en émeuve et qu’au XIVème siècle, Catherine de Sienne s’exprimait librement devant les évêques réunis en synode.

Le pape François sait tout cela. Tout en réaffirmant que «Le sacerdoce réservé aux hommes (…) est une question qui ne se discute pas», il reconnait qu’il peut néanmoins «devenir un motif de conflit particulier si on identifie trop la puissance sacramentelle avec le pouvoir.»[4. Evangelii Gaudium, 104.] Or, dans nos pays occidentaux de vieille chrétienté, aujourd’hui sécularisés, le clergé catholique, socialement déclassé, est surchargé de travail et mal rémunéré. Peut-on, en plus, remettre en cause le «pouvoir» traditionnellement attaché à la fonction qui serait désormais à partager avec les laïcs et majoritairement avec des femmes ? On imagine mal les évêques, confrontés à un cruel manque de prêtres, le leur imposer, quoi qu’ils en pensent sur le fond et quel que soit le souhait du pape François. Sauf que la question soulevée ne disparaîtra pas comme par magie.

Une pomme de discorde entre l’Eglise et la société

Sans doute est-ce là l’une des raisons de l’hostilité de l’Eglise à une «théorie du genre» qu’elle perçoit comme une menace pour son organisation interne. Mais il y a plus fondamental. La doctrine catholique reste farouchement attachée à une anthropologie biblique fondée sur la différenciation sexuelle dans laquelle elle voit la volonté même du Dieu créateur. C’est cette anthropologie qui, pour elle, justifie le mariage hétérosexuel comme structurant de toute société. Dans son exhortation apostolique sur la famille, le pape François réaffirme que le seul modèle familial utile à la société est celui qui repose sur le mariage hétérosexuel, indissoluble et fécond. «Aucune union précaire ou excluant la procréation n’assure l’avenir de la société.»[5. Amoris Laetitia, 52.]

Il y a donc bien là une pomme de discorde réelle entre l’Eglise et le monde. La révolution pastorale à laquelle invite le pape François, par l’accueil miséricordieux de chacun  -couples non-mariés, divorcés remariés, homosexuels…- ne saurait ébranler la doctrine catholique. Le mariage gay ne peut pas être présenté comme «un modèle parmi d’autres» à proposer à la jeunesse. Or c’est précisément l’opinion qui tend à s’installer au fur et à mesure que la loi Taubira entre dans les mœurs. Et cela n’est pas sans conséquence sur notre système éducatif. Le respect de la différence n’est pas ici en cause. On sait le drame vécu par nombre de jeunes homosexuels qui, par peur du rejet familial ou social, en viennent à envisager le suicide voire, parfois, à passer à l’acte .

Plutôt la polémique que le débat

Le risque est qu’au motif de respecter l’enfant et son ressenti on ne le fige artificiellement dans une identité peut-être provisoire, un «genre» dont, nous dit-on, il pourra de toute manière changer au cours de sa vie s’il le souhaite. Mais à quel prix pour son équilibre psychologique, affectif et relationnel ? Est-on à ce point assuré que ce soit là la voie du bonheur ? L’Eglise n’aurait-elle pas le droit de poser ces questions auxquelles les sciences humaines sont aujourd’hui incapables de répondre ? Est-il juste que celui qui les formule soit aussitôt soupçonné d’être sous influence des intégristes ? Est-il normal que le pape le plus antilibéral au plan économique, soit accusé de conservatisme crasse, dans certains milieux, uniquement parce que, non sans logique, il se refuse à épouser tout autant des idées libertaires ?

C’est dans cette vision globale qu’il faut replacer les propos récents du pape François dénonçant dans la théorie du genre «un grand ennemi du mariage.»

Alors, emporté par sa spontanéité naturelle, le pape François a-t-il fait là un pas de clerc, faute d’avoir mesuré l’écho que ses propos pourraient avoir dans un pays à la couenne laïque sensible ? Et cela dans un contexte politique pré-électoral et à quelques jours d’une nouvelle «manif pour tous» dont les organisateurs doivent se frotter les mains d’une telle aubaine. Chacun se fera son idée. Mais il est vrai que, ces jours derniers, beaucoup se demandaient ouvertement : «Qu’est-ce qui lui a pris ?»

La popularité du pape François tient en partie au fait qu’il ne pratique pas la langue de buis. C’est une attitude toujours risquée. Ceux qui souhaitent, comme lui, que l’Eglise sache «se faire conversation» avec le monde sont prêts à prendre le risque de ces fausses polémiques. Tout en regrettant qu’elles soient, pour certains dans la société – et pour la quasi totalité du monde des médias – une manière facile de refuser le dialogue en vérité qui leur est proposé, au service du bien commun.

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