Théorie du genre : Petit Poilu à l’assaut des différences


Théorie du genre : Petit Poilu à l’assaut des différences

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Aujourd’hui, je vais vous raconter l’histoire de « L’expérience extraordinaire », quinzième tome des aventures de Petit Poilu (Dupuis). Je n’ai pas lu les autres tomes puisque je suis tombé sur ce volume par hasard. J’ai trouvé intéressant de vous faire part de quelques planches de cet album. Dans un souci de faire vite et synthétique, à chaque fois qu’il manque une ou plusieurs pages, je vous écris un bref résumé de l’action. Je vais tâcher de rester purement descriptif dans un premier temps.

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Une journée ordinaire commence pour Petit Poilu. Cartable sur le dos, il s’en va à l’école.

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Chemin faisant, le soleil tape dur et Petit Poilu se laisse tenter par une baignade dans une piscine. Mais l’eau se transforme soudain en grosses bulles, et notre héros se trouve aspiré vers le fond par un gros tube qui l’avale. Après quelques tourbillons dans d’étranges méandres, il se retrouve craché à l’autre extrémité du tube dans un endroit inconnu. Il a à peine le temps de reprendre ses esprits que deux bras mécaniques munis de pinces le cueillent et l’enferment dans une cage. Petit Poilu découvre qu’il n’est pas seul dans la cage : il y a aussi une petite fille. La BD étant muette, c’est la quatrième de couv qui nous apprend qu’elle s’appelle Ève. Dans la cage, Petit Poilu et Ève font brièvement connaissance et échangent des sourires amicaux. Mais les deux bras mécaniques font de nouveau leur apparition et vont chercher nos deux héros dans leur cage pour les emporter manu militari Dieu sait où.

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Un troisième personnage fait son apparition. Elle tient des manettes de commande et semble présider à une sorte de laboratoire. La quatrième de couv’ nous apprend son nom : il s’agit de Miss Divine. Les deux bras mécaniques larguent brutalement Petit Poilu et Ève dans une sorte de nacelle, et Miss Divine leur donne à voir un écran.

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En toute logique, si vous avez bien suivi, Eve ayant choisi le ballon de foot plutôt que le poney rose, elle subit une douloureuse réprimande en se faisant pincer les fesses et Miss Divine est furieuse. Après cette première expérience, Petit Poilu et Ève se retrouvent de nouveau enfermés dans leur nacelle et trouvent un peu de répit. Mais Miss Divine revient, équipée cette fois d’un flacon bleu et d’un flacon rose. Les bras mécaniques saisissent nos deux héros et les plongent dans un bain. Miss Divine saupoudre du bleu dans le bain de Petit Poilu, puis du rose dans le bain d’Ève. La réaction chimique transforme l’eau en mousse.

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Mais l’effet lobotomisant de l’expérience s’estompe et ils retrouvent tout leur esprit ; Petit Poilu et Ève s’échangent alors leurs jouets. Furieuse de voir Petit Poilu jouer à la poupée et Ève jouer au foot, elle se saisit d’une tapette pour les frapper mais, dans sa rage, dérape sur un jouet à roulettes et tombe assommée sur le sol.

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Fin de l’histoire.

Après cette dernière page de l’aventure, on peut lire ceci :

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Extrait de la quatrième de couv’ :

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Voilà. C’était peut-être un peu long à lire mais, la lecture étant faite, on peut commencer l’analyse des choses. En premier lieu, il convient de chercher quelques informations complémentaires sur les aventures de Petit Poilu. Petit Poilu possède une page officielle sur laquelle on lit ceci :

« PETIT POILU, UN OUTIL PÉDAGOGIQUE ET LUDIQUE !

Petit Poilu figure sur la liste officielle de l’Éducation Nationale et est plébiscité par les enseignants et Inspecteurs de l’Éducation Nationale. La série s’avère être un outil de travail complet et agréable à utiliser en atelier. En effet, chaque tome développe un thème propre autour duquel il est aisé d’organiser des ateliers de discussion même avec les plus petits. De l’amour à la jalousie, de la peur à l’injustice, de l’amitié à la colère, le « petit message qui fait grandir d’un poil » laisse libre cours à la réflexion et ouvre la porte à l’expression orale. »

On peut en effet trouver des fiches pédagogiques correspondant à chaque album. En l’occurrence, nous trouvons la fiche de ce tome ici.

Petit Poilu n’est donc pas une simple BD enfantine comme peuvent l’être Petit Ours Brun, Mickey Mouse ou Popi ; Petit Poilu revendique une charge sémantique « citoyenne » active puisque c’est un outil pédagogique au sein de l’Éducation Nationale.

Bien.

Nous n’allons pas tourner autour du pot pour comprendre de quoi nous parle cette BD. Elle nous parle explicitement de la notion du genre, cette fameuse théorie qui n’existe pas, et fait la promotion de ses interrogations auprès des très jeunes enfants. Nous n’allons pas non plus bêtement hurler au scandale et dénoncer Satan à l’œuvre. Nous allons pourtant hurler au scandale et dénoncer Satan à l’œuvre (ton d’imprécateur médiéval), mais nous allons le faire avec un peu d’intelligence et de mesure.

Nous trouvons évidemment cette BD scandaleuse pour plusieurs raisons :

1. Sous des aspects récréatifs et divertissants, cette BD est clairement un outil de reprogrammation idéologique. Vous allez me répondre que Bayard Presse ou Pif Gadget donnent bien dans le contenu idéologique (catho pour l’un, communiste pour l’autre) et vous aurez raison. Mais Bayard Presse et Pif Gadget ne cachent pas leurs messages et ne font pas dans l’instillation subreptice. Et ni l’un ni l’autre ne nouent de partenariat avec l’Éducation  nationale.

2. Qu’il s’agisse de réalités biologiques ou de construits sociaux, le message de cette BD est qu’il faut les déconstruire et estomper les différenciations. Or les enfants ont besoin de repères et d’identifications claires pour bien grandir, et non de leçons de déconstructivisme. Je veut bien qu’on soit déconstructiviste, mais à la condition qu’on soit devenu une grande personne et qu’on comprenne ce à quoi on s’attaque. Si on veut se lancer dans le jeu des identités floues et des affinités électives, mieux vaut savoir le plus clairement possible la différence entre le Je et l’Autre. Et quand on est un enfant, on est très loin de cette sophistication intellectuelle qui joue sur la transgression. Si on veut briser la norme, il faut d’abord qu’il y ait une norme à briser. L’enfance, c’est l’école de la norme, qu’on le veuille ou non. On ne se roule pas par terre, on est gentil avec les gens, on ne fait pas de caprice, on mange proprement, on apprend à lire. Dans la vie normale, les gens ne se roulent pas par terre à la première contrariété – même si cette notion de « vie normale des gens normaux » peut sembler complètement nazie pour certains. Alors, si on veut se rouler par terre, insulter les gens, faire des caprices et ingérer n’importe quoi, on peut le faire plus grand en devenant par exemple chanteur dans un groupe punk. Mais la vie sex and drugs and rock and roll n’est pas faite pour les enfants. On peut insulter la reine d’Angleterre, mais à la condition d’être un sujet de la reine d’Angleterre. On peut faire du cubisme ou du ready-made, mais à la condition de maîtriser parfaitement la figuration académique qu’on entend subvertir.

3. Dans un monde peuplé de gens normaux, l’école apprend aux enfants des aptitudes techniques et intellectuelles, elle n’est pas là pour les plonger dans des débats participatifs sur le rôle des sciences sociales appliquées aux données biologiques de la sexuation (« organiser des ateliers de discussion même avec les plus petits »). C’est sans doute passionnant quand on est chercheur dans une université ou quand on est impliqué dans une activité collectiviste ponctuée d’AG, mais c’est extrêmement malvenu dans une école primaire.

Ensuite, vient la dimension satanique de l’ouvrage. Je vais expliquer pourquoi j’utilise le mot satanique, sinon on va me prendre pour un illuminé de chez Civitas.

Observons le personnage du « savant fou », interprété ici par une femme qui se nomme « Miss Divine ». Qu’a donc cette femme de divin pour mériter ce nom ?

– Elle règne en maîtresse absolue sur son domaine. Des créatures mécaniques lui obéissent au doigt et à l’œil comme des prolongements d’elle-même, elle semble donc toute-puissante.

– Elle ne manipule presque rien par elle-même, donnant l’image d’un pur intellect qui n’opère que par des intermédiaires – un peu comme Krang dans les Tortues Ninja, cet être qui n’est qu’un cerveau et qui n’interagit avec le monde que grâce à un corps artificiel qui le protège et le transporte. Elle est d’ailleurs maladroite dans le monde réel où traînent au sol des jouets à roulettes, alors qu’elle est très puissante derrière d’abstraites consoles de commande.

– Son but est de créer des êtres humains à son image, c’est un démiurge. La petite fille s’appelle – oh la la la quel hasard dis donc – Ève.

Or, toute Miss Divine qu’elle est, elle apparaît comme méchante et malfaisante. Logiquement, elle devrait s’appelait Miss Maboule, Miss Méchante, ou Miss Sadique puisqu’elle agit en tortionnaire contre les enfants. Mais non. Elle s’appelle Miss Divine. Bon. On va dire que c’est le nom dont elle s’est affublée elle-même pour se donner de la contenance, asseoir son autorité et se prendre pour la démiurge qu’elle rêve être. Soit.

Mais je m’autorise à penser qu’elle s’appelle Miss Divine parce que les auteurs voient réellement Dieu comme ceci : un être qui, au contraire de créer l’homme pour son bien, joue à contraindre pour son mal un homme dont l’existence provenant de la Nature lui précède et dont l’essence est fondamentalement bonne. C’est à dire une inversion totale du Dieu de la Bible et des évangiles, jusque dans son sexe puisque c’est une femme ; voilà pourquoi je parlais de satanique. Le récit est très clair : des enfants – l’homme à l’état pur, l’âge incorrompu, l’innocence – se voient contraints à des affects construits, et le plan échoue. La Nature dit le vrai, Miss Divine – et la norme sociale qu’elle construit – disent le faux. Ça se passe dans un laboratoire, le raisonnement est donc scientifiquement validé. J’émets de sérieux doutes sur l’appartenance des auteurs à une église de Satan (des cagoules, des bougies, des psalmodies lugubres, du sang sur un autel, HA HA HA HA HA) mais je maintiens que cette inversion complète de l’image de Dieu est porteuse d’un certain sens sacrilège assumé, même s’il ne porte pas ce nom et n’est pas avancé comme tel. Ne soyons pas bêtement complotiste non plus.

En général, dans un labo, le savant fou est en blouse blanche. C’est le cliché du scientifique qui travaille en laboratoire. Mais Miss Divine arbore une tenue très éloignée du domaine scientifique. Clairement, Miss Divine est le type parfait de la gouvernante austère. Uniforme victorien, chignon sévère, lunettes de vieille fille, look d’institutrice du XIXème. Miss Divine n’est donc pas une autorité scientifique : Miss Divine est une éducatrice de la morale d’antan, et le laboratoire est un lieu d’expérience comportementale. Sa tenue « de l’ancien temps » évoque évidemment toute la charge puritaine associée traditionnellement à ce rôle.

La leçon est la suivante : nous sommes des êtres non-déterminés, la société (aux valeurs arbitraires et normatives justifiées par une morale obsolète) est un carcan contre la parfaite expression de notre volonté et/ou de notre nature.

La conclusion enfonce le clou : Petit Poilu et Ève plongent Miss Divine dans un bain et lui font subir le double effet de ses potions : en stimulant à la fois le masculin et le féminin, elle devient un monstre hybride (on songe à la scène finale de La Mouche !). On pourrait croire au premier abord que la BD nous apprend qu’on peut être à la fois masculin et féminin (être un garçon qui joue à la poupée et se met un nœud dans les cheveux), mais alors on ne comprend pas pourquoi l’état final de Miss Divine est révulsant et ridicule ! N’incarne-t-elle pas, à ce stade, l’indifférenciation hermaphrodite accomplie ? Eh bien non ! Car ce qu’il faut comprendre, ce n’est pas qu’il faut être de façon égale masculin et féminin (ce qui est est décrit comme un état monstrueux), mais qu’il faut être masculin ou féminin de façon indifférenciée. La sexuation, socle de l’identité, n’est donc pas traitée selon les termes de l’égalité ou de l’équivalence des différences, mais selon les termes de l’effacement de la différence.

En résumé, cet épisode de Petit Poilu nous apprend :

1. que la différenciation est construite.

2. que la différenciation est un obstacle ou un carcan puisqu’elle oblige à choisir l’un pour rejeter l’autre.

3. que l’identité est une expression de notre profonde et seule individualité, hors de tout déterminisme.

4. que notre volonté doit primer sur le reste et finir par s’imprimer sur le reste (notre corps, les codes sociaux).

5. que Miss Divine a tort, puisque c’est nous qui sommes les démiurges de notre propre identité.

6. que nature et culture sont des ennemis – la culture étant le lieu du construit, donc du contaminé par la morale.

7. que les enfants ont raison contre un monde d’avant qui enseigne l’erreur.

C’était un article long et flou, je vous remercie pour votre attention.

*Photo : LECARPENTIER-POOL/SIPA. 00652846_000005. 



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est architecte.

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