Mais que vaut le nouveau Polanski ? Difficile de trouver une salle pour le voir… C’est un jeu de massacre anti-riches dégénérés assez réjouissant !
Quatre ans après l’onde de choc J’accuse, le néo-paria Roman Polanski, 90 ans, nous revient avec une déconcertante farce décapante pointant les vices et les outrances ridicules d’une classe cosmopolite richissime, dont certaines trajectoires individuelles vont se croiser par le plus grand des hasards dans un hôtel de luxe des Alpes suisses à l’occasion du dernier réveillon de l’année 1999. Tout un symbole.
Quelque part entre Luis Buñuel, les Monty Python, la comédie sociale italienne et Ruben Ostlund (impossible de ne pas songer à Sans filtre…), cette bouffonnerie trash commence avec de timides doigts d’honneur tendus dans les cuisines et les salons de ce « Palace » très select pour finir sur une hallucinante scène qui voit un « caniche à sa mamie » sodomiser un pingouin dans la grande salle des fêtes aux petites heures du matin après le tourbillon et l’ivresse de la nuit qui auront été fatals à certains…
Ni daube infâme, ni chef d’œuvre, cette grande récréation malséante d’un réalisateur facétieux au soir de sa vie (qui n’a plus rien à prouver à personne sur le plan cinématographique) peut être lue comme l’ultime expression d’une intense manifestation de liberté et d’indépendance à l’égard de tous les conformismes et toutes les formes de « politiquement correct ». La vision de son dernier effort (espérons qu’il y en ait encore d’autres !) dans les rares salles hexagonales qui ont le courage, l’audace (l’outrecuidance ?) de le projeter cette semaine (dépêchez-vous car il serait étonnant de le goûter au-delà de la date de péremption fixée à mardi prochain…) peut alors relever du geste salutaire et quasi militant.
Le freak, c’est chic !
Hôtel Grand Bellevue, Gstaad, 31 décembre 1999. 12 heures avant le décompte fatal qui alimente les fantasmes et les peurs les plus irrationnels (souvenez-vous le fameux bug de l’an 2000 prédit en son temps par Nostradamus et les illuminés et crédules de tout acabit !), l’anxiété et la nervosité commencent à gagner les équipes du Directeur hôtelier Kopf, parfaitement incarné par l’acteur allemand Oliver Masucci, sans doute la grande révélation du métrage. Le maître mot est de contenter au maximum la fidèle clientèle argentée quitte à satisfaire ses désirs les plus inavouables, insolites et pervers ! Et l’on ne va pas être déçu devant ce véritable défilé de « freaks » dégénérés plaqués or. Chacun va en prendre pour son grade. Et sur le trône figure en bonne place un « monstrueux » Mickey Rourke au visage boursouflé et tuméfié par la prise (hélas bien réelle) de stéroïdes anabolisants et de stupéfiants en tout genre. Un tissu adipeux cramé par le soleil et une infâme moumoute jaune canari lui permettant de surcroît d’interpréter sans trop forcer Mister Bill Crush (sic), un escroc impoli et impulsif qui va chercher à se faire ami-ami avec un banquier naïf qui n’a pas résolu son complexe d’Œdipe, l’excellent acteur allemand Milan Peschel que l’on croirait tout droit sorti d’un cartoon à la Tex Avery. Il est amusant d’entendre Rourke lui expliquer très doctement qu’avec le bug informatique du millénaire, personne ne remarquera le jeu d’écritures sur son compte bancaire avec un rajout de trois zéros supplémentaires !
Autre personnage loufoque, une vieille marquise botoxée maniérée et maniaque interprétée par Fanny Ardant, l’amie de toujours de Roman, au soutien indéfectible. Portant un amour obsessionnel à son petit chien, elle est proche de la dépression lorsque son « bébé » défèque sur son lit suite à une indigestion de caviar, ce qui occasionne la venue en catastrophe d’un médecin… devant donc s’improviser véto (joué par l’acteur portugais Joaquim de Almeida, à l’imposante filmographie). Et que dire de ce couple texan à l’abyssale différence d’âge ? Lui c’est John Cleese, 84 ans, le mythique cofondateur britannique des Monty Python ! Elle, c’est la jeune actrice plantureuse Bronwyn James, dont les moindres faits et gestes sont scrutés et décortiqués par les tabloïds anglo-saxons, autre cible de choix dans le viseur sardonique polanskien. Terminons cette savoureuse galerie avec Bongo (sic), ex-hardeur professionnel (dans le film) dont l’appareil génital, outil de travail de luxe était assuré, lors de ses années fastes, à hauteur de 5 millions de dollars ! « Je suis très heureux de voir enfin ton engin de près ! » lui lance, ravi, Bill Crush dans les vespasiennes de l’Hôtel.
Amis de la poésie vespérale, passez votre chemin !
Miroir politique
Mais l’essentiel se situe sans doute ailleurs. Par un opportun effet miroir avec notre époque actuelle, le réalisateur du Locataire s’amuse à multiplier les clins d’œil et les mises en perspective. Il agrémente ainsi son récit d’une rocambolesque affaire de dissimulation de valises de billets par des nervis du régime mafieux russe au moment où Boris Eltsine, contre toute attente, annonce en direct à la télévision russe le 31 décembre 1999 sa démission (autre fait authentique !) et décide de « remettre les pouvoirs de président au chef du gouvernement, Vladimir Vladimirovitch Poutine. Durant trois mois, conformément à la Constitution, ce sera lui le chef de l’Etat. À l’expiration de ce délai, comme le dit, encore une fois, la Constitution de Russie, une élection présidentielle sera organisée. » Nous avons ensuite le loisir d’entendre un jeune Poutine au visage lisse et sur un air candide de séminariste marteler sa volonté de « respecter l’État de droit et toutes les libertés publiques, comme la liberté d’expression ! ». Malaise…
Autre décalage, à plusieurs moments, Polanski oppose en champ / contre-champ les riches dépravées (notamment des mannequins russes aux seins surgonflés) à des groupes de femmes entièrement voilées (mais aux ongles étonnamment rouges vernis !), tels deux pôles opposés se regardant étrangement, sans pouvoir évidemment communiquer…
Enfin, un œil attentif pourra noter la présence d’un jeune plombier polonais à l’allure athlétique intervenant dans la chambre de la marquise française qui ne va pas résister à son charme en lui tendant plusieurs perches à connotation sexuelle… On se souvient évidemment des polémiques en France et dans d’autres pays de l’Union européenne à propos des travailleurs détachés originaires de l’Est, source de distorsion de concurrence, dans le sillage du vote de la directive Bolkenstein en 1996 et suite à l’onde de choc provoquée dans l’Hexagone par la non-ratification du traité constitutionnel européen en 2005.
Ce qui, reconnaissons-le, nous fait plusieurs thèmes de réflexions fort stimulants.
Derrière le vernis corrosif de la critique anti-bourgeoise, ce film choral, co-écrit avec le légendaire Jerzy Skolimowski (autre grand nom du nouveau cinéma polonais des années 60-70) n’est peut-être pas si mineur qu’il en a l’air… Et le tout sur la musique entraînante de notre Frenchy multi-primé, Alexandre Desplat !
1h41
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