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« The Innocents »: une omelette norvégienne bien glacée

En salles le 9 février


« The Innocents »: une omelette norvégienne bien glacée
© Mer films

Le film d’Eskil Vogt distille un fantastique minimaliste pour détruire les clichés sur le vert paradis des amours enfantines


Flanqué de deux blondinettes (leurs enfants, âgées de 7 et 11 ans), dont l’aînée, autiste, n’émet que des sons inarticulés, un couple en apparente harmonie aménage dans une barre d’immeubles, à l’orée d’une forêt située en zone suburbaine. Nous sommes en Norvège ; c’est l’été ; les enfants jouent librement en bas, loin des parents, dans l’aire de jeu aménagée pour le loisir des occupants. La plus jeune ne tarde pas à se lier avec un garçon plus âgé qu’elle, un mulâtre au regard bistré et à la mine chafouine. Et aussi avec une autre petite fille, noire de peau mais le visage et les mains tachetés de blanc :  manifestement, un problème de dépigmentation. Deux enfants sans pères,  élevées par des « mères isolées ». Sur cette bigarrure anthropologique, l’intrigue ne nous en dira pas davantage explicitement.

Savoir-faire singulier

Toujours est-il que dans la cabane qu’il s’est aménagé sous la futaie, le petit gars de couleur confie à sa copine aux cheveux d’or, émerveillée, le secret des étranges pouvoirs de télépathie et de télékinésie qu’il s’est découvert, et qu’il se risque à tester de plus en plus avant sur lui-même : rompre un branchage à distance, ou s’emparer transitoirement de la pensée de l’autre jusqu’à plier ses gestes à sa volonté … D’instinct, tout enfant apprend vite : les mioches se transmettent donc ce savoir-faire singulier. Et ils progressent. En toute innocence…

« The Innocents », c’était déjà le titre de la splendide adaptation du « Tour d’Ecrou », le chef-d’œuvre du génial Henry James, par Jack Clayton en 1961. L’angélisme enfantin y prenait un rude coup. Un remake ? Pas vraiment. Mais huit ans après « Blind » (son premier long métrage), c’est au tour du norvégien Eskil Vogt, 47 ans, par ailleurs scénariste attitré de son compatriote Joachim Trier, de réviser les idées reçues sur le « vert paradis ». On se gardera ici de déflorer le suspense, mais disons qu’à l’insu des adultes et, bientôt, à leurs dépens, les bambins tissent entre eux un réseau mental pathologique de plus en plus féroce et sanguinaire…. Il faut saluer la maîtrise picturale minimaliste, elliptique et glacée par quoi le cinéaste conduit, de fil en aiguille, ses créatures sensément ingénues vers l’atrocité, avec une force anxiogène qui rive de bout en bout le spectateur à son siège. 

Réplique ironique

Il est clair que le film d’Eskil Vogt constitue une réplique ironique et acide à la vogue des super-héros dont la cupidité des majors d’Hollywood gave de nos jours les écrans, jusqu’à écœurement, de leur insondable connerie. Vu sous cet angle, on comprend que « The Innocents » version 2021 se soit gagné à juste titre bien des suffrages complices, tant à Cannes où il figurait dans la section Un certain regard, que dans la dernière édition de l’Etrange festival où Canal + lui a donné son Prix. 

Eskil Vogt et ses acteurs © Christian Breidlid

Mais se risquera-t-on à oser ici une lecture décidément moins œcuménique de ce joyau parfaitement intelligent, où tout fait sens et où rien n’est laissé au hasard ? Dans une forme d’ambiguïté tout à fait consciente, cette fable horrifique ne serait-elle pas, souterrainement, le vecteur d’une allégorie si dérangeante qu’il serait de bon ton d’en occulter la possible signification ? Car, si l’on veut bien ouvrir les yeux, que nous dépeint l’intrigue ? Déjà touchée dans sa chair, par le mauvais sort de cette enfant handicapée, une héroïque famille nordique, blanche, est infiltrée, mise en danger, subvertie de façon occulte par les jeux interdits de deux marmots exogènes : un véritable cheval de Troie a investi cette banlieue septentrionale ! 

Interprétation tendancieuse ? Je vous laisse en juger. Au demeurant, l’épilogue saura, vous le verrez, retourner très habilement la situation, en sorte d’éviter toute outrance manichéenne.

« The Innocents ». Film d’Eskil Vogt. Norvège, Suède, Danemark. En salles le 9 février. 




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