On n’attendait rien du premier film de Florian Zeller. L’Oscar 2021 du meilleur scénario adapté et celui du meilleur acteur pour Anthony Hopkins nous confirment qu’on avait tort…
Londres aujourd’hui : un vieil homme bougon se plaint de son aide à domicile. Sa fille, la cinquantaine lasse, essaie de le raisonner. Mais est-ce bien sa fille ? Est-il bien chez lui ? Voilà qu’il se pose ces questions et d’autres encore. Adaptant en anglais « Le Père », sa pièce la plus renommée, avec une pléiade de comédiens de classe internationale, Florian Zeller fait plus que surprendre, il réussit un premier film en équilibre instable entre théâtre bourgeois et cinéma d’auteur. Ce dernier point fera tiquer, mais le classicisme apparent de la mise en scène cache des références discrètes à certains grands maîtres, que ce soit Antonioni et le fameux travelling traversant une fenêtre de « Profession reporter », ou le Kubrick friand de symétrie qu’on retrouve au détour d’un décor pastel. Il y a chez Zeller la tentation de la terre nouvelle mais avec le confort des charentaises.
Minotaure craintif
La plus grande faiblesse de « The Father » réside peut-être dans ce besoin d’assise qui l’oblige à se réfugier à mi-film dans un naturalisme de théâtre privé ou de téléfilm, lors d’un repas avec poulet et mise au point, ce tout-venant de la dramaturgie. Après un début à la fois prenant et désarçonnant, Zeller essaie de raccrocher son spectateur aux branches, au prix de quelques maladresses (l’impair commis par la nouvelle aide à domicile, seul personnage un peu raté). On pense alors à un Pinter qui aurait peur de ses audaces, référence évidente qu’il convient de tempérer.
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Zeller n’est évidemment pas Pinter, déjà pour la raison que ses dialogues sont beaucoup plus ternes. Il use également beaucoup moins des silences qui permettent à l’auteur de Trahisons d’infuser à ses répliques mystères et menaces. La tension de « The Father », plus latente que chez Pinter, existe néanmoins car la structure de sa pièce est cinématographique avec ses enchaînements à vue, fluides et surprenants, qui dérobent un personnage pour le remplacer par un autre acteur jouant le même rôle.
Zeller a l’intelligence de doubler la ligne chronologique brouillée par une ligne psychologique progressant vers la clarté, à l’image du très beau dernier plan. Il parvient même à effleurer une crainte métaphysique dans ce labyrinthe de la mémoire où le réel se dérobe comme un Minotaure craintif. Et il ne répugne pas à faire sursauter par un raccord son agressif – de l’eau aspergée sur un visage – ou le surgissement d’une image qu’on croirait mentale, cette statue réduite à une tête géante et incomplète à l’entrée d’un hôpital, seul plan large de tout le film.
Un épilogue inoubliable
L’interprétation est un sans faute, notamment dans les seconds rôles qui brillent par de petits détails, le timbre de voix naturellement aigre de Rufus Sewell ou la bouche tordue de Mark Gatiss, qui a fait bien du chemin depuis l’hilarante série comique « The League of gentlemen ». Olivia Colman confirme qu’elle est une grande actrice dans un rôle ingrat presque sacrifié. Et puis, il y a Anthony Hopkins qui lève une à une toutes les réserves qu’on pourrait avoir devant ce véritable baroud d’honneur où toutes les couleurs de son jeu viendront au devant de la scène se faire admirer – colère, malignité, mépris, désarroi,… L’épilogue – réellement inoubliable – le voit jeter un à un tous les masques et atteindre à un degré de nudité et d’abandon qui ne peut que serrer le coeur du spectateur le plus endurci, soudain renvoyé à sa propre enfance. Le lien avec Alain Resnais, qu’on aura senti plusieurs fois, notamment dans la matérialisation d’un de ses titres, « I want to go home », prononcé par Hopkins, fait de « The Father », un « Providence » de poche en plus doux, plus déserté. Le manoir de John Gielgud est troqué pour une simple enfilade de pièces, et la prolifération mentale du film de Resnais pour un vide somnambule où l’on ne peut avancer que pas à pas. « Parle, mémoire ! », comme l’écrivait Nabokov en titre anglais original de son autobiographie. Oui, mais si celle-ci ne peut que bégayer ?
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