Une série Netflix en six épisodes pour raconter en 1879, à travers la naissance du football moderne, les contradictions de l’Angleterre victorienne.
L’Euro 2020 étant reporté d’un an pour cause de virus, le supporter pourra se consoler avec une excellente série anglaise en six épisodes sur les débuts du football : The English Game que vient de proposer Netflix. Pour ceux qui douteraient encore que la série est devenue un des modes privilégiés de la fiction en ayant inventé sa propre grammaire narrative, The English Game réunit tous les ingrédients du seul art réellement nouveau que nous ait apporté ce siècle. En six fois cinquante minutes, c’est un univers qui se déploie, celui de l’Angleterre de l’ère victorienne avec sa campagne inimitable qui se mélange aux villes champignon de la révolution industrielle comme dans Les temps difficiles de Dickens.
La série du scénariste de Gosford Park et Downtown Abbey
Tout est ici soigné : les décors, les costumes, la réalisation de Julian Fellowes qui a été le scénariste de Gosford Park de Altman ainsi que de Downtown Abbey. Rien n’est cheap, rien n’est non plus hyperbolique dans la description de la misère comme dans celle de la fortune pour montrer en cette année 1879 comment le football qui existe de manière codifiée seulement depuis une quinzaine d’années est aussi le vecteur de la lutte des classes. Ce sport inventé pour le pur plaisir du jeu par des aristocrates et des élèves des grandes écoles britanniques est devenu un divertissement de masse pour une classe ouvrière qui commence à prendre conscience d’elle-même, notamment grâce à des petits patrons issus de ses rangs, bien décidés à ne pas oublier leurs origines. On l’aura compris : si The English Game parle du football, et en parle bien, c’est aussi pour s’en servir comme fil conducteur afin d’explorer les contradictions d’une époque qui oppose les classes, les sexes, les modes de vie et même la géographie, l’Angleterre du Sud bon chic bon genre et celle du Nord industriel dans le bourdonnement des usines où la colère se transforme vite en émeute.
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D’un côté, nous avons l’élégant et séducteur lord Kinaird, ancien d’Eton qui travaille dans la banque paternelle et sa femme Margaret qui se remet difficilement d’une fausse couche. Kinaird est en plus un des très grands joueurs de son temps, capitaine des Old Etonians, régulièrement champions d’Angleterre.
De l’autre, deux ouvriers-footballeurs venus d’Ecosse pour travailler dans une filature du Lancashire, à Darwen : Fergus Sutter et Jimmy Love. Travailler ? Rien n’est moins sûr. Ils sont en fait embauchés comme joueurs rémunérés par un patron du textile qui veut absolument voir une équipe composée d’ouvriers gagner la coupe pour briser le monopole des équipes patronales.
On n’a pas le même maillot mais on a la même passion
Ces gens se croisent sans se voir dans la vie comme le montrent des plans très révélateurs quand l’action se déroule dans de grands hôtels ou des institutions philanthropiques pour filles-mère. Le seul endroit où ils peuvent se rencontrer à tous les sens du terme, c’est le terrain. Et évidemment, cela ne se passe pas très bien. Là où The English Game montre, en plus de sa virtuosité, son intelligence d’une époque, c’est dans l’absence de manichéisme. L’aristocratie est sincèrement indignée par la brutalité et l’arrivée de l’argent dans ce qui devait rester un vrai divertissement tandis que du côté ouvrier, payer les joueurs est devenu une nécessité puisque leurs équipes, composées d’hommes qui s’usaient douze heures par jour six jours sur sept, n’arrivaient évidemment pas avec les mêmes chances pour jouer.
Parfaite métaphore de ce qui se joue sur le front social, The English Game est aussi ce jeu où Fergus Sutter et Jimmy Love – qui ont réellement existé tout comme Lord Kinaird- inventent le football moderne en multipliant les passes et, comme on dit chez les commentateurs, en se créant des espaces.
Le ballon circule, et l’Histoire aussi.
The English Game Depuis le 20 mars sur Netflix, six épisodes, avec :Edward Holcroft, Kevin Guthrie, Charlotte Hope. Créateurs :Julian Fellowes, Tony Charles, Oliver Cotton
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