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« The Car »: nouvel album en cinémascope des Arctic Monkeys

Le groupe anglais toujours prêt à décontenancer même ses admirateurs.


« The Car »: nouvel album en cinémascope des Arctic Monkeys
The Arctic Monkeys au Primavera Sound Festival, Los Angeles, California, le 18 septembre 2022 Bill Chapman/London Entertainmen/SIPA Shutterstock41003044_000018

Le groupe de rock anglais, originaire de Sheffield, continue sa nouvelle veine : la création, non d’une suite de chansons, mais de toute une atmosphère sensuelle qui vous donne une envie furieuse de vous rendre dans un bar à cocktails sophistiqué de l’imagination.


J’ai toujours eu besoin d’orchestrer ma vie. Je ne crois pas manquer de naturel, mais il me faut sans cesse faire un pas de côté pour ne pas prendre en pleine poire le train sordide du quotidien et en succomber. Chacun sa méthode. Adolescent, plein d’idéal et de mélancolie furieuse, je remontais les rues en direction du lycée, me recoiffant dans les vitres des banques, demandant des cigarettes aux fumeurs, préparant mon arrivée dans la cour comme un comédien dans sa loge. Oui, être jeune c’est mélanger sans mesure l’ardeur et le grotesque avec un esprit de sérieux dissimulé derrière le fard de l’ironie. Pour que l’orchestration soit réussie, la musique est bien sûr essentielle. Ainsi c’était avec cette musique dans les oreilles que je pénétrais dans les lieux nouveaux. Le terne des jours se transformait alors, comme par magie, en une explosion d’émotions distordues. Les yeux en guise de caméra, mes pas devenaient d’étranges travelings, les passants des figurants d’un film plus ou moins réaliste. Mais pour que l’illusion soit parfaite, il faut le bon titre. Les Arctic Monkeys nous donnent mieux que ça. Depuis le 21 octobre et la sortie de leur album sobrement intitulé The Car, c’est dix admirables chansons en cinémascope qui nous sont offertes.

Rembobinons un instant. Nous sommes en 2006 et cinq gamins anglais venus de Sheffield cartonnent dans les charts. 400.000 exemplaires de leur premier album sont vendus en une semaine. Rien ne les distingue vraiment d’autres lads (jeunes)qui fréquentent les mêmes pubs, portent les mêmes vêtements, draguent les mêmes filles et se coiffent de la même façon. Rien, excepté un talent, une fougue et une flamme juvéniles que l’on n’avait pas rencontrés depuis l’album Up The Bracket des Libertines en 2002 (dont nous fêtons les 20 ans). Nés autour de la sortie de Nevermind de Nirvana en 1991, mes amis et moi-même étions trop jeunes pour profiter pleinement de cette fantastique vague de groupes comme les Strokes, les Libertines donc, les White Stripes ou Franz Ferdinand. Avec la naissance et le succès des Arctic Monkeys, une chance nous était donnée de prendre un nouveau wagon : nous ne le laisserions pas passer. L’année 2006 fut pour beaucoup d’entre nous une aube explosive, une prodigieuse renaissance.

Sans jamais se prendre les pieds dans le tapis (ni rater une marche), la bande d’Alex Turner a su, grâce à un sens du travail bien fait, un bon goût indiscutable et un indéniable talent, se renouveler sans cesse album après album. De Favorite Worst Nightmare et ses riffs à tremolos horrifiques associés à des mélodies diablement efficaces, jusqu’au merveilleux Suck It And See, composé avec une divine simplicité et produit par Josh Homme des Queens Of The Stone Age, les Arctic Monkeys sont devenus des maîtres incontournables. En 2013, avec la sortie d’AM, ils vont encore plus loin et obtiennent un succès foudroyant qui leur permet de toucher un nouveau public. Avec des singles comme « I Wanna Be Yours » ou « Do I Wanna Know » qui dépassent le milliard d’écoutes, les Arctic Monkeys sont désormais les rois du rock’n’roll des années 2010. La génération qui avait raté le train de 2006 découvre l’existence de ces garnements de Sheffield qui sont depuis devenus des stars internationales au même titre que Rihanna aujourd’hui et Bowie hier.

Si l’on sait qu’il est important d’être constant (Seigneur, donnez-moi la force de l’être !), alors il est important de dire qu’Alex Turner n’a jamais été un artiste inconséquent. Mieux que ça : il ne s’est jamais satisfait de ses glorieux lauriers et a passé son temps à métamorphoser sa grâce musicale en des formes sans cesse nouvelles. Depuis Tranquility Base Hotel & Casino en 2018, les Arctic Monkeys ont même pris un tournant qui a décontenancé nombre de leurs admirateurs. Ils n’en firent rien et prolongèrent ce qui leur semblait être la bonne route. De mon côté, ce virage pimenta ma passion pour eux. Patchworks parfaits de références et d’influences diverses rendues homogènes par la patte singulière d’Alex Turner, ces deux derniers albums cherchent moins à enchaîner les tubes qu’à rendre palpable une atmosphère. A la manière d’un film, encore une fois. On sait que le leader des Arctic Monkeys s’exprime de plus en plus souvent à propos de sa passion pour le cinéma. Matt Helders, son meilleur ami et batteur, lui, s’est passionné pour la photographie (nous lui devons la pochette de l’album The Car). Le groupe est donc soucieux d’esthétique. Depuis 2018, les disques des Arctic Monkeys sont des lieux, des odeurs, des couleurs plus qu’une succession de chansons. On regarde moins Apocalypse Now ou Orange Mécanique pour connaître le dénouement que pour être plongé dans un monde et une vision. Je crois qu’il en est de même pour l’album The Car.

Cet album, comme je le disais, divisera encore un peu plus, éloignera ceux qui veulent jouir instantanément d’un panier de mélodies efficaces plus que d’une ambiance dans laquelle se plonger. En ce sens, ce disque est plus proche de Melody Nelson ou de Diamond Dogs que de Revolver ou Definitely Maybe. Je le disais à un ami, une fois le vinyle de The Car posé sur la platine, j’ai envie d’enfiler un costume trois-pièces, de cirer mes chaussures et de partir armé de lunettes de soleil vers un bar enfumé pour y boire un rhum raffiné. Lorsque j’écoutais Melody Nelson à quatorze ans, je me plaçais devant un miroir, un coton-tige dans la bouche, mimant Gainsbourg et sa cigarette (les adolescents sont comiques malgré eux). Quelques mois plus tard, je devins fumeur. The Car est de cette race d’albums qui diffusent une influence comme le parfum voluptueux d’une femme le fait. En sa présence, tout change. Comme lorsque je mettais de la musique dans mes oreilles en marchant dans la rue et que ma démarche en était modifiée. Ainsi, The Car impose une attitude et c’est en cela que c’est un disque d’élite, un disque rare, un disque aristocratique, un classique instantané, comme le sont les grands films.

The Car

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Am

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