Et si le film « The Apprentice », que le candidat Trump qualifie de diffamatoire, boostait finalement sa fin de campagne?
À quelques jours de l’élection présidentielle américaine, plus serrée que jamais, vient de sortir au cinéma le biopic tant attendu sur la fulgurante et irrésistible ascension du jeune Donald J. Trump, portée par les conseils avisés et cyniques d’un célèbre avocat new-yorkais dont les plaidoiries et les méthodes de travail, au-delà de toute éthique, sentaient le soufre. Loin de la satire un peu lourdingue annoncée, le film dépeint au contraire la formidable trajectoire initiatique d’un fonceur ambitieux et intelligent, du début des années 70 au milieu des eighties reaganiennes, complètement en phase avec les attentes et les codes de la société de son temps…
Pourquoi l’inénarrable chef du fameux « MAGA Movement » pourrait-il gagner la prochaine élection présidentielle américaine du 5 novembre? Pour le savoir, il faut courir voir l’excellent film de l’Américano-dano-iranien Ali Abbasi (déjà auteur des très réussis Border et Les Nuits de Mashhad) qui, parait-il, était censé être une « satire » anti-Trump… What ? Pardon ? On ne doit pas avoir la même définition de la satire alors, tant ce biopic nous dépeint un homme ambitieux, intelligent, acharné, persévérant, téméraire, stratège, efficace, « hard-worker » (« Dormir est une perte de temps car on ne peut pas signer de contrats ! »)… Le jeune Trump est prêt à tout pour réussir et devenir le meilleur dans tous les domaines, en dépit de sérieux handicaps de départ. En ce sens, il épouse parfaitement l’idéologie profonde capitaliste et individualiste américaine et paraît complètement en phase avec les attentes de la fameuse « majorité silencieuse » du pays, celle qui a fait gagner en son temps les Nixon et Reagan (le véritable inventeur du slogan « Make America Great Again », au passage), abondamment cités et montrés dans le film, à travers les postes de télévision, les ondes radios, les portraits ou affiches publicitaires.
Le sens des affaires
« L’Amérique est mon meilleur client. Nous sommes les derniers remparts du monde libre face à l’enfer totalitaire », lui inculque son mentor et éminence grise, le très méphistophélique avocat new-yorkais Roy Cohn (parfaitement incarné à l’écran par Jeremy Strong, véritable co-star du film). Un Victor Frankenstein, en somme, qui va rapidement être vampirisé et croqué par son étonnante et insolite créature (incarnée par Sebastian Stan)… Laquelle ne va pas rechigner à passer plusieurs fois sur le billard, endurant, plus que de raison, les coups de scalpels pour des liposuccions et reconstructions capillaires… Hollywood est allé chercher le très inspiré et finalement relativement méconnu acteur roumano-américain pour incarner un Trump plus vrai que nature.
Un acteur qui accède à la célébrité internationale, après avoir endossé des rôles de super-héros dans les univers Marvel comme celui de James « Bucky » Barnes dans la trilogie des Captain America.
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Trump, super-héros d’une Amérique en crise ? C’est en tout cas ce que l’on ressent dans sa farouche et indéfectible volonté de remettre de l’ordre et de la propreté dans les quartiers les plus glauques et mal famés de Big Apple et Atlantic City, à travers son ambitieux programme immobilier et ludique (l’empire Trump, c’est aussi les casinos). Même s’il connaît évidemment des échecs, il faut lui reconnaître une certaine prescience lorsqu’il comprend avant tout le monde que la rénovation de Grand Central et de Manhattan permettra d’attirer de nombreux touristes, venant du monde entier… transformant ainsi le plomb en or !
« Ce qui compte, c’est gagner ! »
Alors, certes, tous les coups sont permis (même les plus bas) pour écraser la concurrence, s’asseoir sur une certaine déontologie (« La réalité et la vérité ne sont que construction et abstraction ») et se hisser au sommet des fameuses Trump Towers, les plus hautes du pays avec celles du World Trade Center (beaucoup y voient un simple délire phallique). Mais il ne faut pas voir ce film à travers un prisme français déformant ou nos œillères européennes… Et encore moins écouter les critiques professionnels de la profession démolir ce métrage en raison de sa trop grande glamourisation de l’irrésistible ascension trumpienne. Le film dépeint au contraire une authentique success story à l’américaine en montrant comment ce jeune homme « aux cheveux d’or », sous le joug d’un père autoritaire, endetté et peu stratège, s’est progressivement affranchi de cette tutelle nuisible en se faisant un point d’honneur à réhabiliter une ville… puis un pays en déliquescence. Jusqu’à devenir milliardaire, avoir forcément les chevilles qui gonflent un peu, lâcher son mentor (qui plus est, atteint du virus du Sida, la « maladie des gays », véritable spectre hantant la moitié du métrage) ou maltraiter sa première femme d’origine tchèque Ivana (le film présente une terrible scène de viol conjugal – dans les faits, Ivana a retiré sa plainte)… et céder aux sirènes des joutes politiques (« Tous des losers au gouvernement ! ») en assénant cet aphorisme définitif : « Tout le monde rêve de devenir riche et de se faire sucer dans Air Force One ! »
Trump va jusqu’à comparer son art de la négociation à une œuvre d’art, à l’instar d’un Leonard de Vinci imaginant et réalisant La Joconde ! D’où la co-écriture avec le journaliste Tony Schwarz du best-seller (évoqué dans le film) L’art de la négociation (The Art of Deal) qui s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires dans le monde entier.
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« The Apprentice » est un film fort et intense qui se regarde comme un thriller tourné dans le New York des années 70, captivant et sans temps mort. La pellicule est volontairement jaunie et vintage, et le montage hyper rapide comme dans un vidéo-clip. Le tout au rythme des grands tubes disco/new wave/rock de l’époque, et ancré dans ce contexte explosif de propagation du Sida et de la révélation d’une nouvelle icône politique nommée Reagan faisant de la réduction des impôts et des taxes fédérales l’un de ses grands chevaux de bataille dans un pays alors écrasé par la concurrence internationale, notamment japonaise.
Terminons avec l’énoncé des trois fameuses règles intemporelles pour réussir dans la vie :
1) Face à l’adversité, toujours attaquer, attaquer, attaquer ;
2) Face aux attaques, toujours nier et ne jamais rien avouer ;
3) Même dans une défaite, toujours prétendre avoir remporté le combat et avoir gagné !
Pour spectateurs non-moutonniers seulement. Merci, M. Abbasi !
2 heures. En salles depuis le 9 octobre.
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