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Thaïs d’Escufon: le goût de l’eau


Thaïs d’Escufon: le goût de l’eau
Thaïs d’Escufon © JOEL SAGET / AFP

L’agression sexuelle de Thaïs d’Escufon prouve que ce qui nous sépare des pays du Maghreb est bien plus large que la Méditerranée : c’est une conception du monde, une civilisation.


Dans l’émission de Cyril Hanouna, au milieu d’une dizaine de chroniqueurs circonspects ou suspicieux comme ne le sont plus les flics quand ils reçoivent les plaintes de femmes violées, Thaïs d’Escufon raconte. En tremblant et au bord des larmes, la jeune blonde identitaire déroule le récit de son agression sexuelle. Alors qu’elle rentrait chez elle d’une séance de jogging dans une de ces tenues de sport qu’on devine moulante, un type qui la suivait s’est introduit dans son appartement et a tenté, entre persuasion et intimidation, d’obtenir un dialogue, un échange, un baiser, une fellation, quelque chose de tendre pour lui, de terrifiant pour elle.

Comme le gars est un Tunisien qui ponctue ses phrases par « Wallah », elle le précise. Ce détail dans son récit déplaît fortement à Gilles Verdez qui s’offusque et à Benjamin Castaldi qui s’énerve, ce qu’ils font le mieux : « Ça, je ne veux pas l’entendre, on n’a pas le droit de le dire », disent-ils sous les applaudissements que recueillent tous ceux qui haussent le ton dans cette émission quoi qu’ils disent, et sous des applaudissements nourris quand les propos sont bien-pensants. Comme deux féministes de gauche après Cologne, les compères-la-pudeur qui se réjouissent d’habitude quand la parole des femmes se libère, ne cachent pas leur dégoût pour les mots de la victime quand le violeur est « racisé ». Plus antiracistes que féministes, les deux indignés ne veulent pas entendre que l’agresseur est arabe. Quand La Gauche contre le réel d’Élisabeth Lévy sera réédité, il faudra penser à mettre leurs têtes de déni en couverture.

J’ai Jésus et la femme adultère « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » ; l’agresseur de Thaïs a un prophète guerrier qui « épousa » une fillette après avoir occis son père et soumis son clan

Ce que les deux aveugles et sourds refusent d’entendre, tout le monde le voit et si la jeune femme croit utile de préciser l’origine de l’importun, c’est parce qu’au-delà d’une certaine proportion, le fait divers peut et doit être requalifié en fait de société. Dans les transports en commun en région parisienne, 62 % des agressions sexuelles sont commises par des étrangers et les chiffres ne disent pas, faute de statistiques ethniques, quelle est la part de Français stigmatisés et « victimes de contrôles au faciès » dans les 38 % qui restent. Cinq femmes que j’ai connues ont été victimes de viol ou de tentatives de viol, chaque fois, les hommes étaient des Arabes. Les deux malentendants volontaires interdisent à Thaïs de dire que son agresseur est un Arabe, et que ce n’est qu’un salaud. Alice Coffin dirait que ce n’est qu’un homme. C’est un peu court pour nous aider à comprendre ce qui nous arrive.

Jusqu’à plus soif

Si j’étais né dans une zone désertique, si j’avais passé ma jeunesse avec la gorge sèche dans un pays où on n’a pas accès à l’eau, si j’avais vu des photos et des films sur les terres mouillées de l’autre côté de la Méditerranée, où une eau claire tombe du ciel, déferle en cascades et en torrents, coule en rivières et en ruisseaux, arrose les villes et donne la vie, où l’eau est courante, où elle court entre les pavés et en hauts talons, où elle coule en continu de fontaines parées de naïades de fonte verte à peine vêtues qui semblent dire au passant : « Allez, ne sois pas timide, il n’y a qu’à tendre la main, bois puisque tu as soif, profite, savoure, régale-toi, ici c’est la coutume, ici c’est normal », j’en suis sûr, je serais venu.

Avec ou sans visa, même sans y être invité ou désiré, j’aurais marché des mois ou pris un radeau et je serais venu. Pas pour nourrir une famille ou un village ni pour une vie meilleure ou plus facile ou plus confortable mais pour tremper mes lèvres dans toutes les fraîcheurs, pour boire à tous les calices, pour goûter ces fruits défendus chez moi et offerts ici. Je serais venu pour chanter et danser sous la pluie, et je me serais gavé sur cette terre promise aux hommes assoiffés, décidé à ne m’arrêter que lorsque l’expression « jusqu’à plus soif » me dise quelque chose.

Cologne, 31 décembre 2016. Selon les rapports de la police, 2 000 hommes, la plupart d’origine maghrébine, ont agressé 1 200 femmes MAJA HITIJ / Getty Images via AFP

Moi aussi, je le sais, j’aurais regardé passer Thaïs d’Escufon avec envie et avec gourmandise. Étonné que les autres, les judéo-chrétiens, restent indifférents à son passage, comme des vaches qui regardent passer les trains, comme des loups qui voient passer des biches et que la morale empêche de courir, comme de flegmatiques gentilshommes qui font comme si de rien n’était, comme des garçons qui ne sortent plus sans leur muselière, comme des hommes qui semblent ne plus voir que des égales, des pareilles au même, des collègues de bureau, des supérieures hiérarchiques, des médecins et des avocates, et plus des objets de désir dont le parfum enivre quand on les croise, des créatures sexuées qui nous filent une claque dans le sang quand on les frôle, des femelles dont la violente douceur des courbes, dont l’insoutenable légèreté du paraître, dont l’insupportable blancheur des peaux aux douceurs prometteuses nous renverse, nous agite, nous retourne dans la rue.

Moi aussi, si j’étais nomade et sans femmes, j’aurais forcé sa porte, pour voir un intérieur de fille, pour entrer dans un univers féminin au climat érotique, plein de stéréotypes joliment sexistes où tout ce qui est donné à voir est une caresse pour le cœur d’un homme, des dessous sur une chaise, une plaquette de pilule entamée, un roman d’amour à moitié lu, un lit défait soyeux, parfumé, prometteur, des collants légers, un tube de rouge à lèvres, du vernis à ongles. J’aurais franchi le pas pour voir une salle de bain de fille pas forcément bien rangée mais délicieusement genrée où s’accumulent d’innombrables produits pour adoucir, pour embellir, pour plaire, pour séduire, où la bouteille de lessive est rose, le savon parfumé, les crèmes fruitées, et les shampoings spécialisés, pour l’avant, pour l’après, pour les boucles, les couleurs, les racines, le volume, des neutralisants pour blond froid et des revitalisants pour cheveux fragiles, fins ou cassants, à la mandarine et au pamplemousse, au gingembre et à la coriandre, aux formules vegan ou à la protéine, aux pigments violets qui neutralisent les effets jaunes indésirables, des qui renforcent et démêlent les longueurs au céramide reconstituant, des qui procurent hydratation et brillance pour revitaliser les cheveux ternes, une salle de bain où les miroirs sont ravis d’avoir été placés là, où brillent ces flacons qui donnent aux hommes toutes les ivresses. Et j’aurais supplié à genoux qu’on accorde à un miséreux, à un nécessiteux, à un assoiffé de tendresse, l’aumône d’un mot doux ou d’un baiser. Moi aussi, si j’avais grandi dans le désert en lorgnant sur l’abondance et la générosité d’ailleurs, en matant ces filles offertes par milliers sur des sites pornos en professionnelles ou en amatrices, ces filles qu’on affiche partout en dessous pour vendre n’importe quoi, ces filles qui ne font pas de manières, ces filles de l’Ouest et du Nord qui ne se couvrent pas quand elles sortent, ces filles qui ne font pas d’histoires, d’amour ou de mariage ou d’honneur ou de pudeur ou de vertu, ces filles pour qui s’allonger et s’ouvrir n’a pas l’air d’être un don coûteux ou un drame terrible ou un traumatisme fatal, moi aussi, j’aurais imploré qu’on ait la bonté de m’offrir, de se laisser faire, de me laisser prendre une faveur sexuelle, et j’aurais insisté, et intimidé, et au besoin, j’aurais obligé.

Même si de ce côté de la Méditerranée, ça peut finir par quinze ans à l’ombre, si j’en avais passé vingt ou trente sans voir la lumière du soleil sur une jupe fendue ou un corsage transparent, moi aussi j’en suis sûr, j’aurais insisté, je me serais attardé, même lourdement pour passer un moment délicieux et terrifiant avec Thaïs d’Escufon ou n’importe quelle jeune fille libre, seule, sans homme et sans défense. Même si c’est moins bon quand elles disent non, même si ça n’a pas le même goût quand on les force, mais qui se soucie du goût de l’eau quand il meurt de soif ? J’aurais fait ce que l’agresseur tunisien a fait, pas moins et peut-être plus, si j’avais vécu loin des femmes, promis à une cousine voilée, invisible et intouchable.

Deux mondes

Ce qui me distingue de l’agresseur de Thaïs n’est pas qu’il est juste un sale type et moi un bon garçon, c’est qu’il est tunisien musulman et moi français, gréco-latin et judéo-chrétien. Dans mon monde, le pointeur est à peine un homme, méprisé et persécuté en prison par les autres ; dans le sien, si sa victime n’est pas une sœur, le violeur est à peine réprouvé par les siens. Nous avons les mêmes pulsions mais nous n’avons pas la même civilisation, pas les mêmes commandements, pas les mêmes références, pas les mêmes héros, pas le même imaginaire, pas le même environnement. J’ai mille ans d’amour courtois, il a les mille et une nuits. J’ai un chevalier qui conte à sa dame le récit de ses exploits pour être l’objet de son choix, qui se bat pour ses couleurs ou pour défendre son honneur ; il a un sultan, un harem et une princesse qui raconte chaque nuit une histoire pour rester en vie. J’ai Molière et la comédie du prétendant qui fait sa cour, qui se propose inlassablement à une femme qui fait attendre, qui choisit et qui dispose, quoi que dise son père et malgré son rang ; il a des siècles de mariages forcés, de filles troquées, de cousines promises, dues et obligées, de razzias turques ou barbaresques, de chrétiennes enlevées, violées, réduites en esclavage et mises sur le marché. J’ai l’honneur français qui interdit à un homme de lever la main sur une femme ; il a le crime d’honneur qui autorise un père à exécuter une fille infidèle à son clan. J’ai Jésus et la femme adultère « Que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre » ; il a un prophète guerrier qui « épousa » une fillette après avoir occis son père et soumis son clan. J’ai « souvent femme varie », j’ai « donna e mobile » ; il a « bats ta femme tous les matins, si tu ne sais pas pourquoi, elle, elle sait ». J’ai une ribambelle de séducteurs, de libertins, de romantiques, de gentilshommes, de charmeurs et de charmants ; il a une armada d’envahisseurs, de conquérants, de tyrans, de violeurs et de violents. J’ai Zeus dont le monde craignait la foudre et qui craignait le courroux de son épouse, j’ai des Grecs, des Troyens et une guerre mythique pour les beaux yeux d’Hélène, j’ai Napoléon à la tête d’un empire et aux pieds de Joséphine, j’ai Judith, Esther et Athéna, Geneviève et Jeanne d’Arc, j’ai la Bouboulina, Louise Michel et Marianne, Mata Hari, Joséphine Baker, Oriana Fallaci et tant d’autres ; il avait Cléopâtre, la Kahina et Salammbô, mais avec Mahomet, il a perdu l’ancienne Égypte, écrasé les Berbères et oublié Carthage. Mes femmes vaillantes, puissantes, résistantes, on les a glorifiées pour moi ; les siennes, on les lui a effacées. À présent, il a Allah Akbar, Allah le grand, Allah le plus grand.

Les regards de mes parents, ceux de tous les hommes et de toutes les femmes de ma vie, le surmoi de ma civilisation m’aident à bien me tenir, je suis bien accompagné. J’ai ce qu’il faut pour résister aux tentations, il n’a rien pour retenir ses pulsions. Alors forcément, c’est plus facile pour moi que pour lui. Dans son monde les femmes se cachent et les hommes règnent ; dans le mien elles se parent et les hommes s’empêchent. Voilà ce qui, au-delà du bien, du mal et de la qualité de chacun, nous distingue. Voilà pourquoi, si nous ne voulons pas qu’ils entrent chez nos femmes contre leur gré, il faut défendre nos terres à nos frontières, et les empêcher d’entrer dans nos pays de force.

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Février 2022 - Causeur #98

Article extrait du Magazine Causeur




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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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