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Réactionnaire, pas conservateur!

Le billet de Philippe Bilger


Réactionnaire, pas conservateur!
Portrait de Sylvain Tesson en juin 2015 Photo: Hannah ASSOULINE

Au détour d’un commentaire et de réflexions sur la restauration de Notre-Dame de Paris, le qualificatif « réactionnaire » semble être devenu un gros mot dans la bouche de l’écrivain Sylvain Tesson…


Ce sujet me passionne et j’admets l’avoir déjà traité. Mais l’actualité est riche et des intelligences stimulantes existent qui permettent sans cesse de reconsidérer ce qu’on pense pour le contredire, le compléter ou l’approfondir.

Quand je lis, de la part de Sylvain Tesson : « Être conservateur pour s’épargner d’être réac » dans le Point, où par ailleurs il fait de brillantes variations dans une rubrique « Poésie et mouvement », je suis naturellement conduit à m’interroger. Même si j’ai toujours préféré me qualifier de réactionnaire plus que de conservateur. Il est évident que Sylvain Tesson n’est pas quelqu’un dont on puisse négliger l’incidence sur son propre esprit : il bouscule forcément le confort de certaines idées. Pourtant je persiste dans ma conviction personnelle.

Définitions

Certes je n’ai pas envie – et ne serais pas capable – de développer les différences fortes qui opposent, sur le plan de la philosophie politique, l’état de réactionnaire à celui de conservateur. Mais depuis que je suis en position de m’intéresser à ces définitions dont chacun a besoin pour savoir où il est et quelle place il occupe dans l’immense champ des idées, je me suis senti viscéralement, presque physiquement, réactionnaire, avant que j’aie tenté de théoriser les motifs de cette option fondamentale.

Même si au sens large la pensée conservatrice ne m’est pas étrangère avec ses principes et ses valeurs essentiels, cela n’est jamais allé jusqu’à faire surgir en moi la conscience d’être conservateur, qui à tort ou à raison renvoie, selon moi, une image de fixité, une légitimité de l’étant, un culte de ce qui demeure, une validation de ce qui est. Comme s’il était hors de question de prendre à cœur l’intense et désordonnée rumeur du monde et de la vie, la multitude des relations humaines, des antagonismes, des fraternités, pour en tirer des conclusions contrastées. Le conservateur est lové au chaud dans l’immobile. Il y a chez lui comme une indifférence noble.

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Le réactionnaire, au contraire, est volonté, changement, révolte, nostalgie, espérance, dénonciation et action. D’abord il réagit. Rien de ce qui est humain, rien de ce qui est politique et social ne lui est étranger ! Il est aux aguets, en vigilance, en surveillance, en désir. Il est mobilité lui-même. Il ne peut pas demeurer en lisière, en surface. Il entre dans la mêlée. Il ne se comporte pas comme un sage qui aurait forcément raison puisqu’il saurait changer « ses désirs plus que l’ordre du monde ». Il ne prend pas les choses, les êtres, l’univers comme ils sont.

Le goût des opinions contraires

Et, à partir de ces dispositions qui ne le font pas accepter sans frémir les injustices et les inégalités d’aujourd’hui, les misères et les richesses, les délitements collectifs, les faillites et les décadences singulières, qui le conduisent à regretter non pas le passé lui-même mais tout ce qu’il charriait de meilleur, il se bat. Il est persuadé que dans le présent imparfait on peut faire revenir, à force de lucidité et de courage, les forces du passé dans ce qu’elles ont eu d’exemplaire. Le réactionnaire ne pleure pas sur hier. Il l’analyse et est convaincu qu’une part de lui est prête à vivifier aujourd’hui. Le délitement des institutions, des services publics, de l’art de vivre, de l’urbanité n’est pas fatal puisqu’ils ont dégradé leur excellence d’avant. Le réactionnaire hait le fil du temps qui sert de prétexte à l’impuissance créatrice ou à la restauration volontariste.

Autre chose me paraît distinguer, par rapport à ma conception intellectuelle et médiatique, le réactionnaire du conservateur. Il me semble que le réactionnaire est beaucoup plus ouvert à l’imprévisibilité des opinions et qu’il ne répugne pas à s’enrichir parfois d’idées « appartenant » à la gauche et d’aperçus qui ne seraient peut-être pas accueillis favorablement par le conservateur. Pour le réactionnaire dont le profil est beaucoup moins homogène que celui, classique et stable, du conservateur, non seulement il n’y a aucun refus de la pensée adverse mais il la cultive volontiers, obsédé qu’il est par l’exigence de plénitude. Le réactionnaire n’a pas peur de s’aventurer dans des territoires qui ne lui sont pas immédiatement ouverts et accessibles. Il va vers l’inconnu quand le conservateur le fuit.

Le réactionnaire n’est pas friand des frontières, des ostracismes politiques. Il est parfois même prêt, par détestation d’être enfermé en lui-même, à se quitter pour humer un air nouveau.

Définitivement, mais modestement, je m’éloigne de la vision de Sylvain Tesson sur ce plan. Être réactionnaire pour s’épargner d’être conservateur ! On n’échappe pas à ce qu’on est.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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